ANDACEY
Corneilla – 1re lune de l’An 4 ap-C
Andacey ne put retenir un petit cri de frayeur lorsqu’elle vit le bouclier de Stanton voler en éclat sous l’impact de la masse d’arme. Son beau-frère fut déstabilisé et chuta lourdement sur le sol. Ce fut un miracle qu’il ne fut pas piétiné par sa monture. Il s’empressa de se rendre à ser Larys Darry, troisième rejeton de lord Petyr. Ce dernier explosa de rire : « Mon fils n’a fait qu’une bouchée de votre frère, lord Mouton.
-La mêlée n’est pas terminée », répondit sombrement Perwyn.
En effet, ser Donnel Darry était déjà durement pressé par une épée-louée. Andacey avait beau avoir une vue plongeante sur la mêlée depuis les gradins, elle avait du mal à suivre tant l’engagement était chaotique. Une bonne dizaine de combattants étaient encore debout et la moitié avait déjà démonté. Ser Clarence Darry, frère de lord Petyr, s’acharnait sur lord Symond Herpivoie qui était pourtant à terre.
« Vous semblez choquée, ma chère » dit lady Leana Darry à Andacey.
« Votre beau-frère fait montre d’une véritable férocité contre le suzerain de votre mari. »
La jeune lady pouffa : « Clarence ne semble pas avoir apprécié les visites nocturnes de lord Symond à sa femme, lady Carellen Terrick. »
Andacey en fut estomaquée : « Lord Herpivoie ? J’ai toujours entendu dire que c’était un homme pieux.
-Pieux oui. Sur les dieux, Sa Seigneurie est intarissable et il est toujours le premier à donner à la Foi Militante. Mais pour la fidélité à ses vœux de mariage… C’est un secret de polichinelle que lord Symond passe autant de temps au bordel que dans les septuaires. Il serait d’ailleurs capable d’engrosser la statue de la Jouvencelle. » Elle baissa le voix pour ne pas être entendue de son mari. « L’année dernière il a reconnu le fruit de ses aventures avec Carellen, Jon Rivers. Ser Clarence voulait réparation, mais mon mari l’a raisonné. »
Andacey n’en croyait pas ses oreilles. Consternée, elle regarda lord Herpivoie se rendre et ser Clarence retenir son bras avant de jeter son arme, comme s’il avait perdu tout intérêt pour la mêlée.
A l’autre bout de la rixe, son neveu ser Donnel Darry venait de s’incliner face à ser Hosteen.
« Cajolez votre mestre, lord Petyr, ricana Perwyn. Si vous veniez à mourir Darry tomberait en de mauvaises mains.
-Votre chevalier a manifestement triché, riposta lord Darry.
-Mon mari ne l’admettra pas, mais son fils aîné serait capable de se blesser en sortant la lame de son fourreau », murmura lady Leana. La dame de Darry semblait se réjouir de voir son beau-fils mordre la poussière. A 19 ans, elle était plus jeune que bien des enfants de lord Darry. On murmurait qu’elle était une ancienne servante de feue lady Elerra que lord Petyr avait déjà visité sa chambre plus d’une fois avant la mort de son épouse l’année dernière.
Le combat se poursuivit longtemps. Ser Hosteen finit par se rendre à un certain Robb, un franc-coureur au service de lord Nerbosc. Ser Larys Darry perdit également son duel face à l’épée-louée. Leurs deux adversaires finirent par être les derniers debout. Ils s’affrontèrent un long moment avant que l’épée-louée demande grâce, faisant de Robb le vainqueur de la mêlée de Corneilla.
Lord Petyr Darry cracha de dédain. « Si Nerbosc avait organisé une joute, jamais ces culs-terreux n’auraient pu participer. Je ne comprendrais jamais la passion de ces adorateurs d’arbres pour les mêlées. »
Les Nerbosc étaient les seuls fidèles des anciens dieux au sud du Neck, et aucun d’entre eux, pas même lord Mathis, n’était oint des sept huiles. Ils dédaignaient ainsi les joutes qui avaient la préférence des chevaliers.
Andacey remarqua que Perwyn se tenait une nouvelle fois la tête. Ses migraines empiraient de jour en jour et il refusait obstinément de voir un mestre. Elle se leva et le prit par la main : « Rentrons à notre pavillon.
-Je ne peux pas Ma Dame, je dois aller féliciter lords Herpivoie et Nerbosc.
-Assez ! Ils attendront. Nous retournons à notre pavillon où je ferai mander mestre Lorent ».
Trop affaibli par ses maux de tête, Perwyn ne put qu’obtempérer ce qui fit éclater de rire lord Darry : « On voit qui tient la culotte chez les truites ! Même les migraines ne sont pas le fait de lady Mouton ! »
Andacey salua lady Leana, ignora le seigneur de Darry et conduisit son mari jusqu’à leur pavillon. Elle l’étendit et fit appeler mestre Lorent.
Ce dernier ne tarda pas à venir. Il se mit sur le champ à ausculter Perwyn. Andacey avait toute confiance en lui, le mestre d’Herpivoie était incontestablement plus efficace et loyal qu’Aethan.
Lorsqu’il eu terminé sa longue observation, mestre Lorent soupira. Son expression n’augurait rien de bon. « Je n’irai pas par quatre chemin, messire. Je connais ces symptômes, vous êtes gravement malade. Je vais vous donner quelques potions de mon cru et vous proposer un traitement très… particulier. Lors de la prochaine pleine lune vous épuiserez votre corps en courant nu…
-Vous avez perdu la tête ? s’exclama Perwyn.
-Non, messire. Certains patients ont vu leur état grandement s’améliorer.
-Quelle autorité aurais-je encore sur mes bannerets s’ils me surprenaient la nuit à courir dans le plus simple appareil ?
-Vous pourrez toujours interdire l’accès d’un bois… mais si vous me permettez, il s’agit d’un problème mineur. Je vous propose un traitement, vous pouvez ou non l’accepter.
-Peut-être devrais-je demander à Aethan de…
-Perwyn ! le coupa Andacey. Mestre Lorent connait son affaire. Courir nu sous la lune est un prix bien modeste à payer pour guérir. »
Perwyn eut une moue de dégoût avant de tourner vers mestre Lorent « Vous êtes un drôle de personnage. Mais soit. Mon épouse a confiance en vous, je m’humilierai donc. Soyez néanmoins sûr que si ce… traitement venait à s’ébruiter, vous le paierez cher.
-Votre secret sera bien gardé », répondit mestre Lorent en s’inclinant.
« Voilà qui est réglé, tu n’auras qu’à faire un peu d’exercice dans le plus grand secret et tu recouvreras complètement la santé. »
Mestre Lorent semblait gêné. « Ma Dame, j’ai dit que mon traitement pourrait faire gagner un peu de temps à votre mari mais… le mal qui le ronge ne peut être guérit. Même si Sa Seigneurie suit mes conseils elle ne lui restera que quelques années à vivre. Si ce n’est quelques lunes seulement… »
Un silence s’abattit sur le pavillon. Perwyn finit par se redresser sur sa couchette, puis remercia chaleureusement le mestre avant de le congédier.
Lorsque Lorent sortit, Perwyn se tourna vers Andacey, l’air grave : « Pas un mot à quiconque, Ma Dame... Il me faut deux corbeaux pour Viergétang. Le premier sera adressé à maître Kyle.
-Pourquoi dois-tu absolument contacter ton justicier, mon amour ?
-Il doit se hâter... Il y a de cela plusieurs lunes je l’ai chargé d’une mission. Maintenant que mon temps est compté, je ne peux plus attendre… Par les sept enfers ! Avant de voir le Père, je jure de voir la chute de cet imbécile et l’élévation des Mouton. »
Andacey ne comprenait guère où voulait en venir son mari, mais elle jugea plus prudent de ne pas insister.
« Et le deuxième message ? »
Perwyn hésita quelques instants, puis avoua : « Jon doit être mis au courant. Il doit se préparer à l’éventualité de ma…
-Tu n’est pas encore mort !
-Mais je dois prendre les devants, femme. Jon est mon héritier… »
Andacey bouillait de rage. Elle s’assit près de Perwyn. « Soit… mais avant tes missives, fais mentir lord Darry », dit-elle en glissant sa main dans l’entrejambe de son mari.
Perwyn sourit : « Ma Dame souhaiterait-elle assurer la succession ?
-Peut-être », répondit-elle avant de l'embrasser.
Alors qu’elle se déshabillait elle se fit une promesse.
Jamais Jon n’héritera de Viergétang.