PERWYN
Lord Herpivoie-ville – 11e lune de l’An 7 ap-C
Le dais de la grande salle du château d’Herpivoie était vaste et Perwyn était trop éloigné du centre de la table pour entendre la conversation entre lord Symond Herpivoie et lord Lyonel Mallister, seigneur du Trident. Il fallait par contre être sourd pour ignorer le faux rire de lord Darry assis à la droite des deux hommes
. Un hypocrite et un lèche botte. Je ne comprends pas pourquoi lord Symond l’apprécie tellement.
« D’après certaines légendes, les Sans-Visages de Braavos seraient capables de tuer un homme d’un seul regard », dit lord Alyn Piper sur un ton amusé. « Seriez-vous doter d’un tel don lord Mouton ?
-Non... Je ne pense pas messire.
-Bien dommage. Je vous aurais fait rencontrer ma belle-mère. » Le commandant des forces du Trident émit un petit rire avant de se jeter avec gourmandise sur les cailles qui venaient d’être servies.
L’humour n’avait jamais été le fort de Perwyn et il se sentait un peu bête d’avoir répondu si sérieusement. Il décida de changer de sujet. « Vous semblez avoir faim, messire. Le Conquérant ne vous aurait-il pas nourri ?
-Oh si, le banquet du couronnement était impressionnant », répondit lord Piper tout en léchant l’os d’une cuisse. « Mais que voulez-vous je suis un ventre sans fond. Qu’importe ce que disent ces rabat-joies de septons, pourquoi se priver des plaisirs de la vie ? »
Malgré les recommandations de mestre Aethan et mestre Lorent, Perwyn avait pour sa part de plus en plus de mal à se nourrir. « Comment était la forteresse du roi ? Si impressionnante qu’on le dit ?
-Fort-Aegon ? » Lord Piper fit une grimace. « Une bâtisse modeste au sommet d’une colline, avec un donjon de bois de cinquante pieds. Harren le Noir avait plus de goût. Mais je crois que le roi projette de l’agrandir et d’utiliser de la pierre. La ville autour vaut par contre le détour.
-Port-Réal ? Lord Sombrelyn ne cesse de se plaindre que de nombreux navires se détournent de Sombreval pour y accoster. »
Et de Viergétang, mais lord Piper n’a pas besoin de le savoir.
« Oui, le port est très actif. La ville elle-même est… d’une propreté douteuse, mais les bordels y sont incroyables. » Le seigneur de Château-Rosières émit un petit rire en reprenant un verre de vin. « Le roi a fait venir tant de monde qu’elle rivalise déjà avec Goëville ou Blancport. Et elle grandit encore. Lorsqu’il l’a vue, le Grand Septon a été très impressionné. Il a demandé à Sa Majesté de faire construire un plus grand septuaire. Peut-être Sa Sainteté Suprême voulait-elle aussi que le Conquérant expie son mariage avec ses deux sœurs ?
-Un septuaire en échange d’un couronnement, c’est un prix modeste à payer. Où a-t-il eu lieu d’ailleurs ?
-Dans la grande salle de Fort-Aegon, sur la colline même où Aegon avait ceint pour la première fois la couronne. A vrai dire la forteresse avait du mal à accueillir tant d’invités. Pourtant la Main du roi, lord Dale Longegarde, semblait déçue. Il espérait accueillir plus de grands seigneurs.
-Il me semblait pourtant que jamais autant de grandes familles ne s’étaient réunies en même lieu », fit remarquer Perwyn.
« Sans doute. » Lord Piper s’empara de quelques escargots qu’il déposa sur une tranche de pain. « En sus de notre seigneur, Argilac l’Arrogant avait fait le déplacement. Il faut dire que le Durrandon siège également au Conseil restreint. Le sire de Hautjardin, Mern Jardinier était aussi de la partie avec son fils ainé Edmund.
-Son héritier ?
-Non,
septon Edmund a choisi la Foi. D’ailleurs il accompagnait plus le Grand Septon que son père. Et ce fut tout pour les seigneurs suzerains. Tohrren Stark devait venir mais le loup a été retenu par une sombre affaire avec lord Manderly. Harwyn Chenu mène ses boutres on ne sait où. D’après les rumeurs il écumerait les mers d’Orient en quête d’une épée en acier valyrien à même d’impressionner son rival Greyjoy. Quant à la princesse de Dorne Meria Martell, elle a prétexté ses 84 ans pour ne pas faire le voyage, mais je soupçonne le Crapaud de ne pas accepter sa défaite.
-Vous avez participé à la conquête de Dorne n’est-ce pas ?
-Oui, je n’étais pas à la seconde bataille de Soléclat qui a renversé le cours de la guerre. Mais lord Lyonel et moi commandions chacun un flanc lors de la bataille décisive à Santon contre le prince Nymor. C’est d’ailleurs lui qui représentait sa mère lors du couronnement. Il a pu revoir sa fille la princesse Deria. Dire qu’elle a épousé Argilac. Dans quelques années, nous vivrons dans un monde où Orageois et Dorniens obéiront à un même seigneur. Que vont bien pouvoir faire les Marchiens et les Dorniens Rocheux s’ils ne peuvent plus se taper dessus ? » Lord Piper goba littéralement sa tartine au beurre d’escargot et fit descendre le tout avec un vin dornien particulièrement corsé.
« Où en étais-je ? Ha oui, les grandes familles. Comme ces tire-larmes de chanteurs n’arrêtent pas de nous en rabattre les oreilles, le précédent Lannister est mort lors de ce soi-disant Duel des Lions et son fils n’a que quatre ans. Aussi le petit seigneur Roc a-t-il été représenté pas son oncle de régent, Tybolt Lannister.
-Je pensais que c’était son autre oncle, Gerold qui dirigeait les terres de l’Ouest. »
Lord Alyn faillit s’étouffer de rire. « Cet imbécile est mort lors de la campagne dornienne. » Perwyn ne fut pas surpris qu’il s’en réjouisse. Les Piper, par leur proximité avec les terres de l’Ouest, étaient connus pour leur aversion envers les Lannister.
« Ce n’était pas le seul régent vous me direz. Lord Ronnel Arryn n’a que 13 ans, et c’est sa mère lady Sharra qui a fait le voyage depuis les Eyrié. Elle ne pouvait manquer une occasion de bien se faire voir du roi, surtout depuis que les relations avec notre suzerain se sont tendues. »
Perwyn en fut surpris. « Je pensais que les relations avec le Val était bonnes. Lord Ronnel Arryn n’est-il pas promis à lady Cynthea, la fille de lord Lyonel ?
-Si », répondit Lord Piper entre deux gorgées de vin. « Mais notre seigneur est un ambitieux qui se doit de prouver sa valeur face à des seigneurs suzerains qui sont tous issus de lignées royales. Il lorgne sur le Val.
-Sous quel prétexte ? Les Arryns y règnent depuis des milliers d’années.
-A peu près le même prétexte que pour votre aventure à Darry. D’obscurs droits provenant d’unions dont la réalité est plus que discutable. » Un rictus de lord Piper répondit à l’expression indignée de lord Perwyn à la mention de ses droits sur Darry.
Ce n’est pas pareil, tenta-t-il de se convaincre.
Il jeta un œil à lord Lyonel Mallister. Assis à la place d’honneur, le Noir arborait un grand sourire et échangeait de bons mots avec lord Herpivoie.
« Lord Mallister est un chef de guerre admirable et un homme brave, je peux en témoigner » continua lord Piper. « Mais il a un défaut, il est trop confiant dans la nature humaine et dans celle de ses vassaux et présume de ses forces. Peu de seigneurs riverains accepteront une telle aventure s’il si risquait.
-Il ne semble pourtant pas détesté » dit Perwyn en se retournant vers son interlocuteur.
« Détesté ? Non. Mais il peut se montrer autoritaire de temps en temps et certains le craignent. Bien peu l’apprécient et le soutiennent. »
De gauche à droite : lord Baratheon, lady Tully, lord Frey, lord Nerbosc, lord Piper, lord Ryger, lord Vance, lord Beurpuits, lord Bracken et lord Herpivoie.
Lord Alyn désigna les seigneurs qui les entouraient. « Regardez les choses en face. Ceux qui sont présents ici ce soir sont les plus fidèles. Votre seigneur a bien des défauts, comme de nombreux maris du Conflans peuvent en témoigner, mais pas celui de la déloyauté. C’est le cas également de lord Vance qui a combattu pour Harwyn jusqu’à la fin. Lord Frey le soutiendra aussi, jusqu’à un certain point… »
Perwyn regarda le sire du Pont qui, la barbe imbibée de vin, lorgnait sur sa voisine, lady Lansia, sœur de lord Herpivoie et épouse de ser Lyle Frey, le propre frère et ennemi juré de lord Jared.
« Lord Frey ? Son attitude lors de la Conquête semble démentir votre analyse.
-J’ai dit jusqu’à un certain point. Frey est un tourne-casaque qui suit le vent, si lord Lyonel triomphe il pourrait rester fidèle… Je ne peux en dire autant des seigneurs absents. Ryger était un fidèle des Chenu pour qui lord Lyonel est un traître. Bracken et Nerbosc s’estimaient plus dignes de la suzeraineté sur le Trident et ont été déçus par le choix d’Aegon. Quant à lord Orys Baratheon… Il a été la Main du roi jusqu’à la conquête du Trident et est bien plus fidèle à son demi-frère qu’à son suzerain. Restent les Tully. Lady Minisa est la nièce de lord Lyonel, mais elle vient à peine d’hériter de Vivesaigues et ses conseillers ne sont guère favorables aux Mallister. »
Perwyn sirota son verre en silence avant de trouver le courage de demander. « Et vous, messire ?
-Moi ? » Lord Piper sourit. « Lord Lyonel n’est pas un seigneur facile à vivre et à servir... Mais il m’a nommé commandant des forces du Trident, a fait de moi son « maître des navires » même si, entre nous soit dit, j’ai le mal de mer, et il n’oublie jamais de me faire servir les meilleurs plats. Je ne sais pas s’il est le bon cheval, mais j’ai déjà parié, lord Mouton. Mon fils et héritier ser Joseth est marié à Jeyne, la fille première de lord Mallister. S’il chute, ma maison le suivra. »
Il donna une tape sur l’épaule de Perwyn. « Rester fidèle à un seigneur avec lequel vous n’êtes pas toujours d’accord. Je suis sûr que vous êtes familier de cette situation. C’est le choix que vous avez fait à Darry, messire. Le bon. Cela ne vous empêche néanmoins pas de vous méfier de vos semblables. Ils vous sourient, ils vous cajolent… mais ils aiguisent également les lames qui vous égorgeront la nuit venue. »
Lord Alyn Piper sourit à pleine dent avant de se jeter sur un gâteau au miel. « Vous en voulez ?
-Non », répondit Perwyn d’une voix pensive. « Je n’ai vraiment pas faim. »