ANDACEY
Marbrelac – 11e lune de l’An 9 ap-C
Ses premiers jours dans la petite tour, Andacey les avait passés à hurler contre ser Martyn. Elle avait ordonné, exigé, menacé, maudit le chevalier, Perwyn et Jon… mais ser Martyn n’avait pas cédé. Lorsqu’il était repartit à Viergétang, elle avait tenté de rentrer à pied. Andacey n’avait pas fait plus d’une lieue dans la neige qu’Urzen l’avait rattrapée et ramenée à Marbrelac. Après cet épisode, le laconique fer-né l’avait enfermé dans la tour, n’y pénétrant que pour lui apporter à manger.
A la fin de la première lune, la colère avait laissé place au découragement et au désespoir. Elle avait beaucoup pleuré et cessé de s’alimenter, au point que le Fer-né avait dû la forcer à manger. Lorsqu’elle parut avoir accepté son sort, Urzen la laissa libre d’aller et venir dans les environs de la tour.
Jamais elle ne s’était autant ennuyée. Il n’y avait pas grand-chose à faire sinon des promenades au bord du lac gelé. En sus, on lui avait interdit de se rendre dans la petite bourgade de Marbrelac qu’elle pouvait apercevoir au loin. Quant à Urzen, il était loin d’être le compagnon idéal. Il passait le plus clair de son temps à chasser dans les bois ou à pêcher dans le lac et ne lui adressait la parole qu’une à deux fois par jours. Et encore ne prononçait-il en général pas plus de trois mots.
Ser Martyn ne passait qu’une ou deux fois par lune. Un jour, alors que les neiges étaient en train de fondre, il fit venir une jeune servante de Marbrelac. Hanna était paresseuse, goinfre et pas toujours dégourdie. Mais si elle n’était pas Kyra, elle apporta un peu de distraction à Andacey. La dame de Viergétang entreprit même de lui apprendre à lire grâce aux livres que ser Martyn lui avait apportés.
Elle était justement en train de faire lire à Hanna un passage de l’insipide chronique de mestre Aethan lorsqu’Urzen déboula dans la tour sans frapper.
« Madame. Ser Martyn remonte le chemin. »
Andacey soupira. « J’espère qu’il ramène enfin un jeu de cyvosse. Je suis sûre que tu apprécieras ce jeu Hanna.
-Il est pas seul. Six cavaliers. »
Le cœur d’Andacey ne fit qu’un tour. Cela ne pouvait signifier qu’une chose. Elle se leva d’un bond puis se précipita jusqu’à la porte, manquant de bousculer Urzen au passage.
Le Fer-né n’avait pas menti. Ser Martyn approchait, escorté par plusieurs soldats. Elle faillit crier de joie en apercevant les chevaux sans cavalier qui accompagnaient le groupe. Il fallut encore un petit moment avant que ser Martyn n’arrive à la hauteur d’Andacey. À peine l’eut-il salué qu’elle demanda : « Le danger est-il enfin passé ? Mon époux me mande-t-il auprès de lui ? »
Andacey eut un mauvais pressentiment en découvrant l’expression gênée des cavaliers.
« Désolé madame. C’est le régent, ser Jon, qui vous demande. Lord Perwyn est mort. La maladie l’a emporté. »
Il lui fallut quelques instants pour encaisser la nouvelle. Elle ne défaillit néanmoins pas. Elle était triste bien sûr d’avoir perdu son mari, mais… une partie d’elle-même lui en voulait toujours pour cet isolement forcé pendant plus d’un an. Elle ressentait même une forme de soulagement… et de joie à la perspective de revoir Bellena.
« Ma fille ?
-Le régent l’a rappelée à Viergétang. Elle doit être déjà arrivée.
-Alors ne perdons pas de temps. » Elle retourna à l’intérieur et ordonna à Urzen de rassembler ses effets. Ser Martyn lui apporta des vêtements de deuil qu’elle enfila rapidement avec l’aide de Hanna. Il fallut moins d’une heure pour que le groupe soit prêt à prendre le chemin de Viergétang.
Même en hiver, le voyage ne prenait pas plus d’une journée et le groupe allait bon train. Sur le chemin, ils croisèrent à plusieurs reprises des familles de paysans qui fuyaient la guerre. Certaines avaient formées de véritables petites caravanes avec des bêtes mal nourries et des charrettes débordant de biens. Cela fit un choc à Andacey. Elle avait bien entendu parlé de la guerre par ser Martyn, mais savoir n’était pas voir.
Alors qu’ils traversaient la forêt de Viergétang, à quelques lieues seulement de la ville, un des cavaliers que ser Martyn avait envoyé en éclaireur revint vers eux à bride abattue. « Messer ! Une armée ! À une demi-lieue au sortir du bois !
-Targaryens ? », demanda le chevalier.
-Impossible à dire.
-Quelles bannières ?
-Je n’en n’ai aperçu que deux que je ne reconnais pas. Deux ailes noires sur une fasce blanche sur champ échiqueté de noir et de banc et un heaume gris-fer sur champ blanc.
-Staunton et Pyle » annonça ser Martyn. « Deux maisons des terres de la Couronne qui se sont révoltées contre le Conquérant. Nous ne craignons rien. »
Aussi poursuivirent-ils leur chemin et lorsqu’ils sortirent du bois, ils tombèrent sur le camp. Un bon millier d’hommes s’y trouvaient et semblaient avoir traversé les sept enfers. Leur groupe fut rapidement rejoint par les deux commandants de l’armée. Deux chevaliers entre deux âges dont les caractères ne pouvaient pas être plus opposés.
Ser Steffon Manning commandait le plus gros détachement qui comprenait les troupes de lord Manning et de lord Pyle. Ses traits étaient durs et ses réparties courtes et sèches. Bien plus aimable était ser Jonah, un Riverain au service de lord Lyonel Mallister. Il commandait un petit groupe d’une centaine d’hommes envoyé par le Noir pour soutenir ses alliés. Il revendiquait néanmoins le commandement de l’ensemble des forces, ce qui semblait déplaire à ser Steffon.
« Nous avons essayé de porter la guerre dans les terres de la couronne mais…
-Les Targaryens nous ont écrasé à Grondegué », termina ser Steffon.
« Nous remontons vers le nord dans l’espoir d’échapper aux Targaryens.
-Darry est assiégé », répondit ser Martyn. « Vous ne pourrez pas pousser plus loin.
-Voilà qui n’arrange pas nos affaires », poursuivit ser Jonah. « Peut-être votre beau-frère nous accueillera-t-il en ses murs, lady Mouton. »
Les murs de ma fille, faillit rectifier Andacey.
« Je ne sais quels sont les plans de mon beau-frère, mais je pense qu’il acceptera volontiers que vous montiez un camp sur les terres Mouton. » Ser Steffon fronça les sourcils, apparemment peu satisfait par cette rebuffade déguisée, mais ser Jonah remercia chaleureusement Andacey.
Il fallut peu de temps pour que le groupe atteigne enfin Viergétang. Au pied de la forteresse, Andacey fut accueillie par maître Josua et Kyra.
Jon ne s’est même pas déplacé. Mais la vue de sa meilleure amie lui réchauffa le cœur.
« Ma dernière, Eleanor » dit sa belle-sœur en montrant le bébé qu’elle serrait contre elle. Andacey voulu caresser la petite, mais Josua ne lui en laissa pas le temps.
« Madame, les invités vous attendent au septuaire.
-La cérémonie a déjà commencé ? » demanda Andacey, choquée.
Le châtelain était visiblement gêné. « Les sœurs du silence ont fait de leur mieux pour préserver son corps mais il fallait faire vite pour qu’il ne se décompose pas. Ne sachant pas si vous alliez arriver aujourd’hui, le régent a décrété la fin de la veillée.
-Mon cher mari a d’ailleurs préféré veiller sur le tien plutôt que de me rejoindre cette nuit », persifla Kyra.
Andacey ravala sa colère et suivit Josua et Kyra jusqu’au septuaire de la forteresse. Elle abaissa son voile gris puis entra dans le bâtiment heptagonal.
Tous se retournèrent sur elle, mais peu de mines se réjouirent, douloureux rappel du peu de soutien dont elle disposait à Viergétang. Les notables et les conseillers n’en vinrent pas moins la saluer et lui présenter leurs condoléances. Un homme qu’elle ne connaissait pas lui baisa la main. Il lui présenta sa femme, un certaine Lythene Verraz, ainsi que ses deux fils, avant de lui assurer de tout son soutien dans cette période difficile.
« Ser Petyr Pryor », murmura Kyra lorsqu’elles dépassèrent l’homme. « Il aurait dû hériter de Galet, une petite île du Val, jusqu’à ce qu’un accident oblige son mestre à lui enlever… ce que tu sais. Son fils Jon Pryor est devenu seigneur à sa place, mais pour seulement quelques lunes. Lord Kyle Wydman, seigneur de Wycliffe, s’est emparée de l’île. Ton beau-frère leur a accordé l’asile lorsque leur bateau à accosté à Viergétang. »
Mais Andacey n’écoutait plus son amie. Elle venait d’apercevoir Bellena et son cœur semblait sur le point d’exploser. Lorsque sa fille la vit, elle courut maladroitement jusqu’à elle. Elle avait tellement grandit ! Andacey la prit dans ses bras et la couvrit de baisers.
Lady Mouton fut beaucoup plus froide avec Jon qui vint la saluer.
« Je suis heureux de vous revoir, Ma Dame. J’espère que votre voyage n’a pas été trop difficile.
-Non », répondit-elle sèchement. « Nous avons néanmoins été retardé par une armée loyaliste qui envisageait de remonter vers le nord. Mais avec le siège de Darry-le-Château nous les en avons dissuadé. Ils veulent que nous leur offrions l’asile.
-Darry est tombée », asséna Jon. « Nous serons bientôt assiégés et nous n’avons pas les provisions pour accueillir une plus grande garnison.
-Vous êtes le régent. »
Malheureusement, ajouta-t-elle pour elle-même.
Elle reposa la petite et s’avança vers le catafalque où était exposé le corps de son mari. Elle fut surprise de voir septon Darnold en lieu et place de septon Forrest. Ser Hosteen et ser Tyler, armés de pieds en cape, veillaient sur le corps. Son beau-frère semblait épuisé, mais avait encore assez de force pour fixer avec haine l’amant de sa femme.
Revêtu de sa plus belle armure, ses mains gantées repliés sur son épée, Perwyn semblait simplement dormir. Les sœurs du silence avaient fait du bon travail, effaçant les marques de la maladie, de la fatigue et de la peur qui avaient ravagé ses traits à la fin de sa vie. Elle reconnut non pas l’homme malade et fou qui l’avait exilé, mais l’homme bon et doux qui l’avait épousé.
Alors, enfin, elle lui pardonna. Et ses larmes se mirent à couler.