Juillet à novembre 1936 : du pétrole dans mes bananes
Le maréchal Champenois venait de terminer la lecture du rapport de mission du général Garchery, la libération de Saint-Domingue du dictateur Rafël Trujillo et celle d’Haïti du soi-disant conservateur Stenio Vincent, tellement conservateur qu’il avait oublié d’organiser des élections depuis sa prise du pouvoir, s’étaient déroulées avec un minimum de pertes. Les trois provinces avaient été déclarées départements français comme la Martinique et la Guadeloupe. Huntziger avait aussitôt lancé un vaste programme de développement des infrastructures pour remettre ces pauvres gens sur le chemin de la prospérité.
- Et maintenant, demanda le général Corap ?
- Maintenant que l’opération « Flibuste » est terminée et puisque nos 7 divisions sur place sont quasi intactes on peut immédiatement lancer la phase 2, répondit Champenois.
- Vous êtes certain que les USA ne vont pas en prendre ombrage ? Ce serait dommage de détériorer nos relations diplomatiques avec nos alliés de 1917, renchérit le général Georges.
- Ce n’est pas comme si nous attaquions leur centre de loisirs de Cuba, rétorqua le général Weygand. Qu’est-ce que le Venezuela pour eux ? rien. Pour nous c’est la dictature d’Eleazar Contreras. Une dictature qui multiplie les provocations et les incidents de frontières contre nos amis anglais en réclamant la propriété de leur Guyanne.
- C’est également notre premier fournisseur de pétrole, contra le général Dentz.
- Ils nous en fourniront d’autant plus volontiers avec un gouvernement élu que nous aurons porté sur les fonds baptismaux de la démocratie, répondit le général Colson.
- Plus d’objections ? demanda Champenois. Bien. Lancement de l’opération « du pétrole dans mes bananes ».
- C’est vraiment un nom ridicule, grogna Weygand.
- Merci bien, gronda Corap qui en était l’auteur. Je peux vous rappeler ce que vous aviez proposé ? « Venez jouer là », vous trouvez ça plus spirituel sans doute ?
- Messieurs, messieurs, calmons-nous. Le nom n’a guère d’importance. L’essentiel est que les dictateurs du Venezuela puis ceux d’Amérique Centrale disparaissent. Les Contreras, les Sacas du Nicaragua, Andina du Honduras, Martinez du Salvador et Castaneda du Guatemala doivent céder la place à des gouvernements élus par la volonté du peuple !
Message radio du général Huntziger : cibles éliminées- pertes dérisoires – souci avec Salvador : députés refusent indépendance – désirent rester français – point stratégique intéressant avec base navale sur Pacifique - instructions ?
Réponse du maréchal Champenois : avons aval conseil des ministres – accordez statut département – passez à opération « Condor : réveille-toi ! »
Réponse du général Huntziger : quel abruti trouve titres opérations ? - mérite cour martiale
Pendant que le maréchal Champenois hésitait à répondre « c’est moi – prière rester poli » une estafette couverte de poussière entra dans la salle de réunion du ministère des armées. Elle lui tendit un pli après un garde-à-vous impeccable. Champenois lut la dépêche d’un air soucieux puis en fit part à ses officiers.
- Messieurs, la gauche vient de gagner les élections espagnoles.
- Cela semble vous poser un problème maréchal ? s’enquit Corap.
- A moi non. Mais cela semble en poser un aux curés et militaires espagnols : un certain général Franco refuse le résultat électoral et essaie de rallier à lui la fraction la plus conservatrice de la droite pour renverser le pouvoir. Par les armes.
- C’est très gênant ça. S’il l’emporte nous n’aurons que des ennemis de la démocratie aux frontières, à part les Suisses qui sont surtout amis de l’argent, répondit Weygand.
- Tout juste. Il faut aider la gauche républicaine. Colson vous allez leur acheminer du ravitaillement et du matériel, il serait délicat d’intervenir directement dans une guerre civile. Et arrangez-vous pour que ce soit la faction ré-pu-bli-cai-ne qui reçoive notre aide, pas les cocos. Le concept du « parti unique » c’est pas trop mon truc.
- « Pas trop votre truc », quel étrange langage, Champenois, fit remarquer Weygand.
- Je voulais éviter de faire dans le grandiloquent mais si vous y tenez. Qu’il soit de gauche ou de droite un bon tyran est un tyran mort. Pour apporter les Lumières au monde la Révolution s’est servi de la Guillotine. Nous sommes ses héritiers et nous allons nous donner les moyens de rendre son message universel.
- Parfois, Champenois, je vous trouve effrayant, reprit Corap.
- Je vous avais bien dit qu’il valait mieux que j’en reste à « c’est pas trop mon truc », conclut le maréchal sur un clin d’oeil.