BELLENA
Viergétang – 7e lune de l’An 14 ap-C
« Très bien… », dit lentement mestre Aethan en se penchant sur ses lignes. « Revoyez tout de même le tracé de vos M. Là, comme ça. C’est très bien lady Bellena, je suis très fier de vous. »
Fière d’elle, Bellena l’était aussi alors qu’elle admirait son parchemin. Mestre Aethan s’arrêta un moment sur sa belle plume d’oie. « Elle est magnifique. Un cadeau de messer Jon ?
-Ou… oui », répondit Bellena tout en essayant de ne pas rougir.
Elle fut soulagée lorsqu’Aethan reposa la plume et passa au travail d’Eleanor. Riant intérieurement, la dame de Viergétang plongea sa main gauche dans une de ses poches pour attraper un petit biscuit à la pomme qu’elle avait subtilisé dans les cuisines. Elle gloussa en imaginant la tête de Gros Pat, le cuisinier, découvrant la disparition des biscuits.
Une autre de mes victimes qui ne s’est doutée de rien, se félicita-t-elle.
Mestre tapa dans ses mains pour mettre fin à l’exercice d’écriture. « Passons maintenant aux grandes maisons du royaume. » Il ouvrit un grand manuscrit sur lequel on avait peint plusieurs blasons, dont l’un arborait un magnifique étalon rouge. « A qui appartient ce blason ? »
Comme d’habitude, son cousin Walton fut le premier à lever la main. « A lord Addam Bracken, seigneur de Haye-Pierre et suzerain du Trident. »
Cette peste de Liane était tout sourire, comme si la réponse de son frère était la sienne.
Pas juste, ils ont presque 10 ans, ronchonna Bellena.
En sa qualité de dame de Viergétang, Bellena avait le droit à la place d’honneur en bout de table. Ses cousins s’étaient répartis à droite et à gauche en fonction de leur père.
Bellena appréciait peu les enfants de Jon assis à sa gauche. Walton était toujours bien habillé et plutôt joli. Mais à neuf ans, il prenait bien soin d’ignorer Bellena. Et puis c’était un garçon ! D’un an la cadette de Walton, Liane était une petite fouine arrogante que Bellena détestait de tout son cœur. Quant à Alyssa, qui était en train de dessiner des licornes, elle n’avait que trois ans. Un véritable bébé !
« Bien. A quelle dynastie appartient notre roi ? » poursuivit Aethan.
Cette fois ce fut Jayne qui fut la plus rapide. « A la dynastie targaryenne !
-Trop facile », soupira Walton.
Bellena aimait bien plus ses autres cousins, que les enfants de Jon surnommaient les « bâtards », sans qu’elle sache trop pourquoi. Seul Jonos était illégitime et le petit de trois ans était mignon comme tout. Eleanor était la plus proche de son âge et, bien qu’un peu rêveuse, était toujours souriante. Jayne était quant à elle l’aînée des enfants de Viergétang, et Bellena ne pouvait s’empêcher de l’admirer comme une grande sœur.
« Et qui régnera après lui ? »
Cette fois-ci, Bellena connaissait la réponse. « La princesse Valaena ! » Elle avait surpris une conversation de septon Forrest avec sa mère où le religieux avait longuement parlé des festivités qu’il préparait pour célébrer la naissance de la fille du roi et de la reine Visenya.
« Mon père dit qu’une fille ne peut régner », persiffla Walton. Bellena le fusilla du regard.
« Et pourtant ce sera le cas », annonça le mestre. « Qui viendrait après la princesse ? »
Un silence accueillit la question. Les enfants fronçaient les sourcils, tentant de trouver une réponse à ce difficile problème.
« La reine Rhaenys ? » demanda Liane.
« Non », répondit Aethan à la grande joie de Bellena. « Rhaenys est plus jeune que Visenya qui a préséance.
-Mais… », demanda Jayne avec une moue dubitative. « Une reine peut hériter de son mari ?
-Non. Ce n’est pas en qualité d’épouse que Visenya et Rhaenys pourraient hériter, mais de sœurs de Sa Majesté. »
Beurk, se dit Bellena, dégoûtée par un mariage entre frère et sœur.
C’est à ce moment précis que la porte s’ouvrit sur Hanna suivie de près par Gros Pat le cuisinier. Bellena s’empressa de jeter sa plume sous la table puis se fit toute petite. Elle connaissait trop bien Hanna pour ne pas reconnaître cette expression sur son visage. Elle était visiblement fâchée, et Bellena savait pourquoi.
« Désolé de vous interrompre mestre, mais il semblerait qu’un de vos petits protégés ait subtilisé ma plume d’oie.
-Et mes biscuits à la pomme ainsi que des gâteaux au miel », ajouta Gros Pat.
Aethan foudroya Bellena du regard qui s’empressa d’admirer ses pieds.
« Lady Jayne ! » dit Hanna, les mains sur les hanches. « Il semblerait que des serviteurs vous aient vu roder près de mes quartiers !
-Ce n’est pas moi ! » protesta-t-elle. Bellena s’en voulait un peu, elle aimait vraiment bien sa cousine. « J’amenais ma petite sœur Delanei rendre visite à notre père.
-ser Hosteen ? » murmura Liane en gloussant. Bellena lui réserva son regard le plus noir. Pour toute réponse, la garce lui montra discrètement sa plume qu’elle venait de ramasser. Bellena lui fit signe de la remettre à sa place mais Liane lui tira la langue. Elle bouillonnait de rage.
« Hanna », dit-elle. « Je crois que vous vous trompez de cousine. C’est Liane qui est la méchante. »
L’accusée ouvrit de grands yeux. « Non ! » se défendit-elle, mais Hanna était déjà sur elle, découvrant la plume dans ses mains. « C’est pas vrai ! C’est cette peste de Bellena qui l’a volée.
-Prise la main dans le sac et vous accusez votre dame ! » gronda la conseillère.
« Suis sûr qu’elle s’est goinfrée de mes biscuits et de mes gâteaux », renchérit Gros Pat.
« Jeune fille, vous allez me suivre. Nous allons rendre une petite visite à votre mère. » Alors qu’Hanna la trainait par la main jusqu’à la sortie, Bellena lui réserva son plus grand sourire.
Mestre Aethan en profita pour mettre fin à la leçon, et tous les enfants s’empressèrent de sortir. Alors qu’elle descendait les escaliers, Jayne vint la voir.
« Je sais que c’était toi, Belle » dit sa cousine.
La dame de Viergétang rougit. « Je suis désolé… et merci de ne pas m’avoir dénoncée. »
Jayne explosa de rire. « C’est pas grave, et une petite réprimande ce n’est pas cher payé pour voir la tête déconfite de Liane. Pour être honnête j’aimerais que tu m’apprennes à piocher dans les réserves de Gros Pat, j’adore les gâteaux au miel.
-Bien sûr », répondit Bellena. Mais elle était un peu gênée, si elle avait bien volé des biscuits, ce n’était pas elle qui avait pris les gâteaux au miel. « Mais peut-être un autre jour, ma mère m’a demandé de passer la voir. »
Arrivées en bas des escaliers, les deux jeunes filles se séparèrent et Bellena prit la direction de la petite tour ouest en haut de laquelle se trouvaient les appartements de sa mère.
Lady Andacey lisait sur une petite chaise à la lumière de la fenêtre qui donnait sur la baie. « Bonjour, ma fille. Tes leçons se sont bien passées ?
-Oui, mestre Aethan dit que je travaille bien.
-Cela ne veut rien dire », répondit-elle du ton froid qu’elle utilisait toujours lorsqu’il était question du mestre. « Aethan est un incompétent. Cela fait longtemps que ton oncle aurait du demander à la Citadelle qu’elle envoie quelqu’un de plus instruit et surtout de plus loyal. N’oublie pas ce que je t’ai dit, méfie-toi de lui.
-Oui, oui », répondit Bellena en baissant la tête.
Sa mère la fixa un moment. « Où est ta veste ? »
Son cœur s’emballa.
Ma veste ! Elle l’avait probablement aux écuries où elle s’était étendue sur une botte de foin pour dévorer quelques biscuits après son forfait dans les cuisines.
« J’ai dû l’oublier chez mestre Aethan.
-Je sais que l’hiver vient enfin de s’achever, mais je ne veux pas que tu attrapes froid. Je vais appeler ma domestique pour qu’elle aille te la chercher.
-Non ! » répondit Bellena un peu trop fort. « Je… vais la chercher moi-même. C’est ma faute, je dois assoumer.
-Assumer », la corrigea sa mère, mais elle semblait satisfaite de cette réponse. « C’est bien, tu grandis. Ta défunte grand-mère aurait été fière de toi. Va. »
Bellena ne se le fit pas dire deux fois, elle dévala les marches quatre à quatre. Mince ! Mince ! Mince ! Arrivée en bas, elle fonça en direction de la cour qu’elle traversa en un rien de temps. Arrivée aux écuries, elle se faufila par un petit trou dans le mur en bois pour éviter d’être surprise par le palefrenier. Elle alla ensuite dans le boxe le plus à gauche où elle avait pris son petit-déjeuner.
A l’intérieur, elle tomba nez à nez avec sa cousine Eleanor qui, revêtue de sa veste, dévorait des gâteaux au miel. Elle resta interdite pendant un petit moment avant d’exploser de rire. Elle fut rapidement imitée par Eleanor. Lorsque cette dernière sortit la plume de Hanna d’une de ses poches, leurs rires redoublèrent.
Et c’est ainsi que les deux filles passèrent le reste de la journée à s’empiffrer des somptueux gâteaux de Gros Pat.