STANTON
Viergétang – 5e lune de l’An 7 ap-C
Viergétang – 5e lune de l’An 7 ap-C
La jeune servante poussa un cri strident au moment où la porte vola pratiquement en éclat. Par réflexe, elle tira sur les draps pour cacher sa poitrine. Stanton n’eut pas cette chance et c’est nu qu’il se dressa sur son lit pour faire face aux trois hommes qui venaient d’entrer dans sa chambre.
« Qu’est-ce que cette infamie ? Comment osez-vous pénétrer ici de la sorte ? »
Ce fut ser Martyn, armé de pied en cap qui lui répondit. « Ordre de Sa Seigneurie, messer. Vous devez venir avec moi.
-En pleine nuit ? » Stanton était sous le choc. Pour toute réponse, le chevalier lui jeta des vêtements.
Tandis qu’il s’habillait, Stanton posa mille questions à son ami et aux deux gardes, mais ces derniers gardèrent le silence. Une peur intense commença à s’emparer de Stanton, mais il suivit bientôt les trois hommes dans les couloirs du château.
Ils marchèrent un moment, dévalant plusieurs escaliers et il devint bientôt clair qu’ils se dirigeaient vers la grande salle. Je n’y comprends rien, se dit Stanton. Wendel serait-il passé à l’acte plus tôt que prévu ? Le franc-coureur était censé attendre encore quelques lunes, le temps que Stanton regagne la confiance de son frère et parvienne à le retourner contre Jon. Non, si c’était le cas, Martyn ne serait pas là. Ce doit être pour une autre raison, parvint-il à se rassurer.
Lorsqu’ils entrèrent dans la grande salle, ils furent accueillis par Perwyn siégeant sur la cathèdre. Son frère était très diminué physiquement mais c’était la colère et non la souffrance qui marquait ses traits. A côté de lui se tenaient Jon, Thoren et ser Edmure.
« Mon frère ? Qu’est-ce que cette comédie ? » demanda Stanton en se plaçant devant la cathèdre.
« Comédie ? », cria Perwyn. Stanton ne l’avait pas vu autant en colère depuis son refus d’épouser Melantha Manning il y a sept ans. « Quelle belle expression pour désigner la trahison !
-Notre seigneur vient d’apprendre que Wendel projetait de prendre la place de messer Jon en tant que maître d’armes », dit ser Edmure. « Voire d’aller plus loin encore… »
Les entrailles de Stanton furent comme compressées. Je lui avais dit d’attendre ! Il tenta d’affecter la surprise. « Quel toupet ! Il faut l’arrêter au plus vite !
-Nous avons déjà envoyé ser Hosteen pour l’arrêter », répondit Jon. « Mais le franc-coureur s’est enfui. Il se serait embarqué pour le Val. »
Stanton accueillit la nouvelle avec une pointe de soulagement. Si Wendel avait été arrêté, il n’aurait pas fallu bien longtemps pour qu’il révèle son implication. « Voilà qui est malheureux. J’avais bien dit à Jon que donner le commandement à nos troupes à un parvenu était une très mauvaise idée. S’il m’avait…
-Silence ! » La main de Perwyn tremblait. « Il y a plus. Thoren ? »
Le trésorier s’inclina puis se dirigea vers la petite porte à la droite du dais. Il l’ouvrit et ordonna à une personne d’entrer. Le sang de Stanton se glaça lorsqu’il reconnut le gros aubergiste de l’Oie qui Pue. Le bonhomme n’en menait pas large et se précipita aux pieds de la cathèdre où il tomba à genou.
« J’ai reçu une dénonciation », dit Thoren en se tournant vers Stanton. « Des taxes impayées. Le patron incriminé est devant vous. Et il m’a conté une histoire bien étrange.
-Je suis que mon frère est impatient de l’entendre », dit Perwyn qui abaissa ensuite son regard vers l’aubergiste qui ne contrôlait plus sa vessie. « Raconte à Stanton. Parle !
-Me… m’sire… » balbutia l’homme toujours à genou. « Je… je… j’ai vu vot’ Wendel plusieurs fois dans ma gargotte. Qui buvait comme quat’. Que quand il était seul qui disait qu’vous z’étiez trop malade, mais qu’vous mettiez du temps à aller voir l’Père. Qui faudrait p’t’être accélérer les choses.
-Et était-il parfois accompagné ? » demanda Perwyn tout en regardant Stanton droit dans les yeux.
« Ou… oui m’sire. De m’ser Stanton. Là y parlaient d’remplacer vot’ aut’ frère m’ser Jon comme maît’ d’arme et comme régent. Qu’à vot’mort dans quelques lunes y contrôleraient tout… Que Stanton f’rait un bon régent, qui guiderait ben vot’ fille. Qu’ce s’rait comme qui dirait un Florian guidant la Jonquil. » Le gros homme pointa un doigt accusateur vers Stanton. « Et vot’frère a défloré ma p’tite ! Innocente qu’elle était ma…
-Je me fiche de votre fille ! » Un silence glacial envahit la pièce. Stanton était sur le point de vomir. On essayait de lui faire porter le chapeau, jamais il n’avait voulu la mort de Perwyn. Même la défloraison était du baratin. Pas qu’il n’avait pas couché avec la fille… mais vierge, elle ne l’était pas. Il était néanmoins dos au mur. Autant avouer une partie pour s’en sortir.
« Je n’ai jamais voulu attenter à ta vie. Cela n’a jamais été mon but. Je… je pensais effectivement que Jon possédait trop de pouvoir et que la tâche de régent me revenait de droit. À moi, moi qui ai toujours fait tant pour porter nos couleurs lors des batailles menées par nos souverains ou en ton nom. Mais je n’ai jamais voulu te faire le moindre mal, au contraire. Tu peux demander à ser Martyn, lui aussi était des nôtres ! »
Le regard de Perwyn se tourna vers Martyn. « Est-ce vrai ?
-Non messire » dit le garde qui affectait la surprise. « Jamais je n’ai mis les pieds à l’Oie qui pue. »
Stanton était soufflé. « Comment peux-tu mentir ainsi ? En face de moi ! En face de l’aubergiste ! Toi, dis-lui qu’il était avec moi. »
Le gros homme se tourna vers Martyn et le dévisagea un long moment. « Non, m’sire. Jamais vu c’t’homme chez moi. »
À ce moment précis, Stanton n’avait qu’une envie, arracher les entrailles de l’aubergiste et pendre Martyn avec.
« Trahisons, complots, mensonges ! » cria Perwyn. « Partout, même dans ma propre maison ! Je ne sais pas ce qui me retient de te faire décapiter ! Je devrais au moins t’envoyer au Mur !
-Perwyn », intervint Jon. « Notre frère ne semble pas avoir proféré de menace contre toi. L’aubergiste a bien précisé que le franc-coureur était seul. N’est-ce pas ? » demanda-t-il au gros hommes qui hocha la tête nerveusement. « Stanton n’est coupable que d’avoir voulu me remplacer en tant que régent. Cela ne mérite pas la mort. »
Perwyn semblait avoir les plus grandes difficultés à contenir sa colère. « Bien ! S’il ne visait que toi alors choisis toi-même sa punition. »
Stanton réagit avec aigreur : « Oui, laisse donc ton pouvoir de justice à Jon. Une nouvelle prérogative qu’il ne s’était pas encore arrogé. » Il fit face à Jon. « Vas-y, débarrasse-toi de ton rival, Jon. Enferme-moi ! Envoie-moi au Mur ! » C’était la colère et le désespoir qui parlaient plus que le courage. En son for intérieur, Stanton n’avait guère envie de finir ses jours dans une geôle ou sur un mur de glace.
Jon laissa planer un silence avant d’énoncer sa sentence. « Mon frère, je ne te hais pas. Tu n’es pas mon rival. Je suis sûr que tu ne voulais aucun mal à notre frère. Tu souhaitais simplement trouver ta place dans cette famille, même si celle-ci se trouvait être également la mienne. » Il se tourna vers Perwyn. « Son désir de me remplacer ne mérite ni la mort, ni les fers, ni l’exil. Je propose de le laisser libre. Pour punition tu devrais lui enlever son commandement.
-Non ! » Stanton ne put se retenir. Cette décision lui était insupportable. « Wendel a fui et vous m’enlevez cette charge. Qui dirigera les troupes ? Toi encore Jon ?
-Non. Tu as bien raison sur un point, je cumule bien trop de charges. » Il s’adressa à nouveau à Perwyn. « Nomme donc tes fidèles conseillers qui travaillent durs pour toi. Josua sait mener des troupes et sa nomination sera bien vue par le milieu marchand de Viergétang. Je propose également ser Edmure. Il m’a surpris par ses connaissances militaires.
-Soit mon frère, ce sera fait. » Perwyn se retourna vers Stanton. « Quant à toi, tu échappes à une punition plus sévère. Tu n’es pas exilé, mais je ne veux plus te croiser lorsque je suis à Viergétang. Si tu apprécies tant les auberges de la ville, je te conseille de t’y prendre une chambre. »
Sur ce, Perwyn se leva et sortit de la salle d’un pas rageur, suivit de peu par Jon et Thoren. Les gardes s’emparèrent de l’aubergiste pour le trainer dehors. Stanton fut quant à lui raccompagner par ser Martyn. En passant la porte, il jeta un dernier regard derrière lui.
Seul dans la grande salle, ser Edmure souriait.