PERWYN
Lord Herpivoie-ville - 8e lune de l’An 64 ap-B
« Là ! » s’écria ser Lucas Cox, une main tendue vers l’horizon, l’autre fermement agrippée aux rênes de son cheval. « Le roi et son armée ! »
Lord Perwyn Mouton aperçut à son tour la longue colonne de soldats précédée par un important groupes de cavaliers dont certains portaient fièrement des bannières aux couleurs de la maison Chenu.
« Pas trop tôt, soupira lord Petyr Darry. Encore un peu et je gelais sur place.»
Le seigneur de Darry était une plaie qui n’appréciait rien tant que de geindre, mais lord Perwyn Mouton devait reconnaître qu’il faisait particulièrement frais ce matin. Parmi le millier d’hommes d’armes qui patientaient depuis l’aube devant les portes de Lord Herpivoie-ville, quelques-uns avaient déjà commencé à allumer des feux pour se réchauffer. La discipline était toute aussi relâchée chez les deux centaines de soldats venus de Viergétang. Perwyn ne cachait pas son plaisir de voir son jeune frère Stanton peiner à tenir les rangs.
« Difficile à estimer, mais je dirais qu’ils sont dix ou douze milles. »
Malgré son âge avancé, ser Lucas en imposait toujours dans son armure. Perwyn appréciait tout particulièrement ce chevalier émérite qui s’était plus d’une fois couvert de gloire dans les lices. Il était de surcroît un banneret loyal de lord Symond Herpivoie.
Ce dernier semblait préoccupé tout en regardant l’armée clairement scindée en deux colonnes, l’une pour les Fer-nés et l’autre, en retrait, pour les Riverains.
« Les rumeurs étaient donc vraies, nombre de seigneurs riverains n’ont pas répondu à l’appel du roi.
-La mort d’Harren le Noir aurait pu refermer certaines plaies et inciter certains seigneurs à mobiliser leurs troupes pour son fils, répondit Perwyn. Il semble néanmoins que certaines blessures sont trop profondes. » Il ne put s’empêcher de penser à l’humiliation subie par son propre père, à Herpivoie même.
« Le Père-d’en-Haut est témoin que mon père et moi-même n’avons pas été les derniers à subir des torts de la part des Chenu, dit lord Herpivoie. Et il est parfois difficile de servir des hommes qui ne croient pas dans les Sept. Mais il s’agit de notre souverain. Il en va de notre honneur de les servir.
-Alors peu de seigneurs du Conflans ont de l’honneur. Les bannières riveraines sont bien rares : Ryger, Vance de Bel Accueil… Frey. Darry cracha par terre. On sait tous ce que vaut l’honneur de ce péagier ? Ses ancêtres torchaient le cul des vaches alors que les miens étaient déjà seigneurs à Darry !
-Et rendaient probablement hommage aux rois de Viergétang, termina fièrement lord Perwyn.
-J’avais oublié que lord Mouton ne pouvait s’empêcher de nous rappeler les origines royales de sa maison. M’est avis que les frontières de vos roitelets d’ancêtres ne dépassaient leurs murailles que d’un jet de pisse.
-La baie des Crabes nous appartenaient !
-Messires ! S’il vous plait. » Lord Symond n’était guère à l’aise lors de ces discussions. Les Herpivoie ne pouvaient se prévaloir de la même ancienneté que les Darry ou les Mouton, encore moins d’une couronne. Une partie de leur fortune provenait du commerce fluvial et leur suzeraineté sur la baie des Crabes avait pour origine un caprice d’Harren le Noir. Perwyn avait bien remarqué que son suzerain, conscient des faiblesses de son autorité, tentait par tous les moyens de ménager sa susceptibilité. Il ne le traitait pas en vassal mais en pair. « Ce n’est pas le moment de se chamailler, le roi est là. »
Une cinquantaine de cavaliers avaient en effet devancé l’armée royale pour venir à la rencontre des seigneurs de la baie des Crabes. Perwyn reconnut de nombreuses bannières fer-nées, la seiche Greyjoy, la faux Harloi, la corne de guerre Bonfrère, la main des Drumm ou le blason vairé de vert et de noir des Noirmarées. Bien plus rares étaient les blasons riverains : le saule pleureur Ryger, les tours Frey et l’écartelé de lord Vance de Bel Accueil, lointain cousin du beau-père de Jon.
Bracken, Nerbosc, Mallister, Tully… on ne compte plus les absents, pensa Perwyn.
Le jeune Harrag Chenu, propre frère du roi, fit office de hérault : « Sa Majesté Harwyn, Second du Nom, roi des îles et du Conflans !
-C’est un honneur de vous recevoir sire, déclara lord Herpivoie. Mon cœur a saigné il y a trois lunes de cela en apprenant la mort de votre père, Sa Majesté Harren. Puisse-t-il être jugé avec équité par le Père-d’En-Haut.
-Mon père festoie dans les demeures liquides du Dieu Noyé, Herpivoie, répondit sèchement le jeune roi. Et épargnez-moi vos jérémiades, je sais que mon père était détesté par la plupart des seigneurs des terres vertes. Les faibles craignent et haïssent les forts, c’est connu. Ses os se faisaient vieux néanmoins, et il était temps qu’une tête plus jeune ceigne cette couronne de fer noire pour se débarrasser des menaces extérieures… et intérieures. »
Les lords Harloi et Drumm éclatèrent de rire. Les seigneurs fer-nés semblaient apprécié ce jeune homme qui avait pourtant passé le plus clair de sa vie sur le continent. Les seigneurs riverains avaient par contre le plus grand mal à cacher leur malaise, lord Denys Ryger semblait absorber par la contemplation des créneaux d’Herpivoie et lord Jared Frey se forçait apparemment à sourire.
« Mille de nos gens sont prêts à vous rejoindre pour votre expédition au sud, s’empressa de dire lord Herpivoie. Mon fils et héritier ser Hoster les commandera et lord Darry ici présent vous conduira jusqu’à Darry-le-Château pour que vous le repreniez au dragon.
-Je vois que vous ne m’accompagnez pas en campagne. Je n’en n’attendais pas moins de vous, on ne m’a pas vraiment vanté vos faits d’armes…
-Ce que veux dire mon royal frère, se dépêcha de dire le prince Harrag, c’est qu’il est heureux de vous voir contribuer à la défense du royaume. Il comprend que vous souhaitiez rester sur vos terres pour les défendre face à l’envahisseur.
-Mon frère Harrag est incorrigible, toujours à modérer mes propos. Soit, ces mille épées seront largement suffisantes. J’ai désormais deux fois plus de troupes que ce soi-disant « roi de Westeros ». Lorsque j’aurai repris Darry, je partirai au sud et l’écraserai pour récupérer la baie de la Néra. Et quand cette affaire sera terminée, je m’occuperai de ces traîtres : Bracken, Nerbosc, Tully, Mallister, tous ceux qui n’ont pas répondu à mon appel ou à celui de mon père. Même vos cousins, lord Vance », précisa le roi en se retournant vers lord Jon Vance.
«Les Vance d’Atranta ne sont que de très lointains cousins, sire. Nous n’avons rien à voir avec eux comme vous pouvez le constater. » Perwyn nota de ne pas mentionner la femme de Jon avec lord Vance.
« Bon, il fait froid et j’ai faim, déclara lord Frey. J’espère que vous avez prévu un festin, lord Herpivoie. Et des chaufferettes pour cette nuit !
-Ne rêvez pas, Frey. Nous n’avons pas de temps à perdre si nous voulons renvoyer le Targaryen sur son île. Nous partons de suite pour Darry. » Le roi ignora la mine déçue du sire du Pont et s’empressa de donner des ordres de marche.
Perwyn, lord Herpivoie et ser Lucas Cox étaient bientôt seuls à observer l’ost royal emprunter la route royale en direction de Darry. Ils avaient presque disparus à l’horizon lorsque mestre Lorent vint les rejoindre.
« Messire Mouton ! Un corbeau vient d’arriver de Viergétang. Etant donné les circonstances, je me suis permis de l’ouvrir, j’espère que vous ne m’en voudrez pas.
-Bien sûr que non, mestre, répondit prestement Perwyn. Est-ce que tout va bien ? Le Targaryen aurait-il tenté une attaque ?
-Non messire, rassurez-vous. Ce corbeau vient démentir le dicton du petit peuple : Noires ailes, noires nouvelles. Ser Jon, votre frère, vous écrit pour vous annoncer une bonne nouvelle : lady Mouton est enceinte. »
Alors que lord Herpivoie et ser Lucas le félicitaient, lord Mouton était gagné par l’émotion. « Que les Dieux m’accordent un fils, pria-t-il, et je lui lèguerai à ma mort Viergétang ».
Et bien plus, ajouta-t-il pour lui-même.