Chapitre 7
Tibet Universalis
Lhassa, Palais du Potala, 11 Avril 1938
Le cabinet ministériel est réuni dans un petit salon confortable du palais. Ils regardent un récepteur de télévision.
H.G. Kundeling: J'aimerais bien avoir des chips.
Tsepon Shakabpa: J'aimerais bien une bière.
Dalai Lama: Je veux regarder un dessin-animé.
Retin Rimpoche (bas): J'aimerais bien avoir un vrai gouvernement.
H.G. Kundeling: Chut ! Ca commence !
L'écran de la télévision devient tout blanc, puis montre une photo de l'Himalaya, pendant qu'une musique joue. Puis apparaissent deux hommes assis à un bureau, avec une carte du Tibet affichée au mur derrière eux.
Présentateur: Bonjour ! Je suis Bobung, de la Première Chaine d'information du Tibet.
Second présentateur: Et je suis Jimpoel. Merci de suivre notre journal télévisé, édition spéciale de 1938 ! Et comme on dit : “une seule chaîne, une seule émission par an, c'est quelque chose à ne pas manquer !”
Bobung: Tout à fait Jimpoel. Et maintenant, voyons ce qui s'est passé dans le monde depuis l'an dernier !
(lit ses notes) Le 7 Juillet 1937, l'armée du Kwantung des forces impériales japonaises, au cours d'un exercice de routine consistant à encercler Pékin, à bombarder la ville et à couper le ravitaillement de la garnison, a télégraphié à la garnison chinoise qu'un soldat japonais avait disparu pendant les manoeuvres, et a réclamé le droit d'entrer dans la ville avec armes et véhicules blindées pour rechercher le soldat manquant.
Jimpoel: Malgré l'exquise politesse de la demande, les chinois ont refusé, ce qui a conduit tout naturellement à un assaut massif des forces japonaises contre la ville. Néanmoins, à la surprise générale, l'attaque japonaise a été repoussée, un fait que le porte-parole du gouvernement japonais a qualifié comme "manquant de tact de la part des chinois". Ce qui explique que le haut commandement japonais a exigé des excuses personnelles du général commandant la garnison de Pékin.
Bobung: Et encore une fois, les chinois, choisissant de provoquer gratuitement les japonais, ont refusé de fournir la moindre excuse avant la fin de l'ultimatum de 5 secondes gracieusement accordé par l'armée impériale. A la fin de l'ultimatum, avant que toutes les communications ne soient coupées, le seul message télégraphié par les chinois disait uniquement :"Je suis absolument déso", ce qui de l'avis général ne signifie pas grand'chose.
Jimpoel: Naturellement les japonais ont pris le parti d'apprendre les bonnes manières aux chinois, à l'aide d'une quantité appropriée d'obus d'artillerie et de divisions mécanisées.
Bobung: Nous remercions au passage l'Agence Impériale Japonaise pour la Diffusion de l'Information Impartiale, qui nous a gracieusement communiqué ce résumé précis et très documenté de la situation en Chine. A côté de ça, toute la Chine a choisi de s'unir contre l'agression japonaise, et pour l'une ou l'autre raison l'URSS a décidé de fournir de l'aide dans le cadre de l'Opération Zet, pendant que les USA votaient la loi Pitman. Bien que personne n'ait une idée très claire de ce que ça signifie, tout le monde semble s'en réjouir, et c'est tant mieux.
Jimpoel: Il y a des gens, comme ça. En tous cas, cette stratégie n'a pas l'air très efficace , puisque le Shanxi a été vaincu et que le Japon a pu établir un Etat fantoche au Mengkukuo le 19 Août 1937.
Bobung: Eh bien ! S'il y avait des livres de géographie au Tibet, il faudrait les récrire ! Mais ce n'est pas fini : en septembre, l'Allemagne a créé un pacte Anti-Comintern, que l'Italie et le Japon ont signé. On ne sait pas non plus précisément ce que ça veut dire, mais les meilleurs analystes politiques du Tibet estiment
(il lit ses notes) qu'ils "manigancent probablement quelque chose" ! C'est proprement incroyable !
Jimpoel: Tout-à-fait, Bobung. Maintenant, parmis les autres nouvelles du monde : le Japon a connu un coup d'Etat conservateur, ce qui prouve qu'on peut TOUJOURS être plus à droite ; l'Espagne républicaine a annexé l'Espagne nationaliste ; et l'Allemagne a annexé l'Autriche et a appelé ça une Anschluss, parce qu'ils ont toujours été généreux en consonnes.
Bobung: Ha, ha ! Bien dit Jimpoel ! Et je serais surpris si un seul de ces évènements, qui se produisent à l'autre bout du monde dans des pays que j'aurais du mal à situer sur une mappemonde, avait la moindre influence sur le cours de l'Histoire !
Jimpoel: Tout-à-fait, Bobung. Maintenant, passons à des nouvelles nettement plus importantes : le Tibet ! A cause de la tension internationale croissante, et l'équilibre instable entre les grandes puissances rivales, notre très saint guide le Dalaï Lama et son très sage premier ministre Reting Rimpoche ont décidé qu'il était urgent de choisir un camp, de telle sorte que la guerre est maintenant pratiquement inévitable, bien que nous ayons l'armée la plus faible du monde, et j'y inclus le Libéria.
Bobung: C'était vraiment un coup de maître digne du génie tibétain !
Reting Rimpoche: J'aime bien ces journalistes. Ils sont vraiment professionnels. C'est juste dommage qu'ils aient ce drôle d'accent.
H.G. Kundeling: Ils ne sont pas tibétains de souche, nous avons juste un peu tibétanisé leurs noms. Ils sont arrivés à Lhassa l'an dernier, fyant une guerre quelque part en Afrique paraît-il. Comme leur métier était d'être journalistes à la télévision, nous avons saisi l'occasion pour créer une chaîne d'information.
Bobung: Hé vous là, si nos infos ne vous intéressent pas, éteignez votre télé, qu'on en finisse !
Reting Rimpoche: Oh non. Le gag de la télé qui parle au téléspectateur est tellement éculé...
Bobung: Ce n'est pas un gag. L'émission est tournée dans la pièce du palais à côté de la vôtre, et je vous entend distinctement d'ici. Et de toutes façons, puisque vous avez le seul récepteur de télévision de tout le TIbet, vous pourriez aussi bien venir nous regarder en personne et on appelerait ça du théatre !
Jimpoel: Je vous prie d'excuser mon collègue, sa première émission en tibétain le rend un peu nerveux. Et je vous en prie, excusez notre détestable accent, et éventuellement notez que nous n'avons eu que 6 mois pour apprendre le tibétain au monastère de Drepung. Sachant que la moitié de notre vocabulaire sont des louanges au Bouddha, et que l'autre moitié est un silence propice au recueillement collectif.
Reting Rimpoche: C'est bon, pas de problème. Après tout, c'est vous qui nous avez fait découvrir cette merveilleuse invention qu'est la "télévision".
Ministre de l'armement Tsepon Shakabpa: C'est tellement merveilleux, que je voudrais bien qu'il existe un moyen d'enregistrer les émission d'une façon ou d'une autre, et de les montrer de village en village dans tout le Tibet... Oh ! Peut-être même qu'il serait possible que tous les tibétains reçoivent l'émission directement chez eux ! Ca permettrait à notre peuple d'atteindre un niveau sans précédent d'information et de conscience politique !
Reting Rimpoche: Vous avez beaucoup travaillé dernièrement, n'est-ce pas ?
Tsepon Shakabpa: Oui mais peu importe, j'adore mon métier ! Les prouesses de la technique moderne vont nous permettre d'instaurer une démocratie participative, peut-être même qu'un jour en automatisant les bureaux de vote on pourra...
Reting Rimpoche: Vous connaissez le monastère de Drepung ? Vous allez adorer. Je pense qu'il vous faudra bien 6 mois pour découvrir tout le charme de l'endroit.
Tsepon Shakabpa: Des vacances ? Merci beaucoup ! Je les mettrai à profit pour méditer sur les droits du peuple et sa participation directe au...
Reting Rimpoche: D'accord, disons un an avec le forfait "100% vie monacale".