Titre : The Embarrasment of Riches. An Interpretation of Dutch Culture in the Golden Age
Thème : portrait de la culture néerlandaise à l'âge d'or
Epoque : XVIe au XVIIIe siècles
Auteur : Simon Schama
Date d'édition : 1997 [1987]
Maison d'édition : Vintage, New York
En 1987, Simon Schama, alors professeur à l’université d’Harvard, publiait une œuvre qui tendait un peu vers l’impossible : interpréter la culture néerlandaise à son apogée. De prime abord dans la définition des termes, l’objectif semble sibyllin et mérite certaines précisions. «Culture », «Néerlandaise » et «apogée », trois concepts plutôt difficiles à délimiter au tournant du XVIIe siècle. Quelle culture, la populaire, celle des élites? Qu’est-ce qui est proprement néerlandais alors que, la Guerre de Quatre-vingts ans se terminant en 1648, le territoire et l’existence même de la République n’étaient même pas encore assurés? Finalement, quelle est la durée de l’apogée néerlandaise? J. Israel faisant d’ailleurs état de l’iridescence de telles bornes en 1996 (Certains historiens plaçant cette frontière tardivement au XIXe siècle, d’autres à la conclusion de la Guerre de Succession d’Espagne – le fameux de vous, chez vous, sans vous du traité d’Utrecht – ou encore à l’invasion française de 1672. Jonathan Israel, The Dutch Republic, Its Rise, Greatness, and Fall 1477-1806, Oxford ; New York, Oxford University Press, 1231 pages.). En introduction, l’historien justifie sa recherche : il s’agit en fait de l’histoire de la culture bourgeoise à proprement parler – non pas dans le sens contemporain du terme, mais comme il l’indique au passage , dans le terme néerlandais de burgher, difficilement traduisible en français par «citadin ». Les précisions quant aux autres termes viennent aux deuxièmes et quatrièmes chapitres, qui sont d’ailleurs selon moi, les plus intéressants.
La thèse que Schama développe est plutôt simple : la culture néerlandaise inventée de toutes pièces à la fin du XVIe et dans la première moitié du XVIIe siècle, est constituée de la rencontre et la cohabitation de deux approches irréconciliables (richesses et piété, liberté et sécurité, mondanité et domesticité, etc.) qui transcendent et influencent la société indépendante issue de la crise iconoclaste de 1566 aux pays bas espagnols. Le second chapitre se penche sur la représentation que se faisaient les Néerlandais d’eux-mêmes, cette quête de situer leur existence et celle de la République dans le continuum temps de l’histoire humaine; qui sont-ils, quels sont leurs antécédents? Simon Schama argue que, afférents à leur bipolarité culturelle, deux récits se seraient ainsi démarqués : celui de la continuité humaniste (défendu par Grotius, Scriverius, la première génération d’«historiens » néerlandaise en tant que telle) remontant aux Bataves, peuple contemporain des Romains indigènes aux deltas de la Meuse et du Rhin actuels, avec lesquels les Néerlandais du XVIIe siècle partageraient immanquablement des qualités particulières. L’autre, celui très calviniste des enfants d’Israël lavés (le terme est juste selon la culture diluvienne issue des polders) des péchés antérieurs par la renaissance spontanée de la Nation. Le tout, cimenté par une bonne dose d’évènements contemporains : exactions et actes de barbarie commis à leur endroit par les Espagnols.
Ensuite, le quatrième chapitre aborde le problème plus concret de l’explication des référents que les Néerlandais s’étaient donnés pour définir l’espace existentiel que leur état républicain occupait dans une Europe des monarchies. C’est ainsi qu’il fait souvent appel aux clichés et stéréotypes véhiculés à l’époque sur les belliqueux voisins : Espagnols, Français et Anglais. En guerre de façon presque continue au XVIIe siècle, Schama décrit chez les Néerlandais une sorte de mentalité d’assiégé, de paranoïa dynamique et d’insolence adolescente chez une république valsant entre la volonté d’exalter la singularité de sa situation et la volonté de sécuriser son existence en redirigeant le champ de bataille européen vers un ailleurs autre que le pas de leur vestibule . Par ailleurs, si les chapitres suivants (ou précédents) sont intéressants, comme ceux sur la dichotomie épouse-traînée, la projection des anxiétés adultes sur l’enfance, le rapport aux richesses (chapitres six, sept et cinq), ils ne m’ont toutefois pas ébloui et chatouillé comme ceux cités plus haut qui s’inscrivaient dans un rapport plus identitaire et politique.
Cela dit, le Britannique maintenant professeur d’histoire de l’art à l’université Columbia, exploite de nombreux filons pour étayer son argumentation. Au niveau des sources primaires, ses recherches se fondent entre autres sur de nombreux récits de voyage (Aglionby, J. Parival, W. Temple), de traités politiques, moraux ou des chroniques (H. Grotius, J. Cats, Scriverius, J. Beverwijck), de poésie et de comédies satiriques (Vondel), un peu de correspondance, de manuels domestiques, de chansons populaires, de livres de cuisine et d’archives familiales et même un discours au parlement britannique et le journal d’une sage-femme frisonne. Tableaux, gravures et imprimés sont cependant le legs de l’époque ciblée qu’il évoque le plus abondamment afin de soutenir ses propos . De plus, cette surenchère d’éléments visuels est accompagnée d’une forte présence d’études en histoire de l’art. Ce leitmotiv de la part d’un historien/historien de l’art est passablement critiqué par certains intellectuels qui ne partagent pas particulièrement ce point de vue quant à la proéminence de l’interprétation des symboles visuels pour en tirer une interprétation juste de la culture néerlandaise . En effet, tout pittoresque qu’elle puisse l’être, la signification symbolique du fromage dans les natures mortes néerlandaises ou celle des bulles dans certains portraits d’enfants ne mérite probablement pas qu’on s’y attarde sur deux ou trois pages.
Les études d’éminents auteurs Néerlandais et Anglais sont aussi citées : Rowen, Israel, Huizinga mais somme toute, elles sont volontiers périphériques à la trame narrative et servent la plupart du temps à soutenir les arguments qu’il amène de son propre chef. D’ailleurs, les explications tirées de sources visuelles ne se mêlent que rarement à celles apportées par les sources (primaires ou secondaires) écrites. Certaines omissions sont notables : les déchirements doctrinaires affligeant l’Église réformée néerlandaise qui en deux occasions (Gomarus/Arminius et Voetius/Cocceius), prit un virage franchement inquiétant pour les autorités provinciales ainsi que le rôle de ce que J. Israel nomme les Lumières précoces dans l’histoire des Provinces-Unies : Spinoza, Descartes...
Dans l’ensemble, l’œuvre de Schama pose plusieurs questions et y répond efficacement étant donné que l’exégèse d’une culture ne peut être qu’approximative. En ce sens, le mot «interprétation » prend tout son sens dans l’évaluation de l’étude. Voguant aussi sur une histoire sociale, le lecteur apprend au passage amplement sur les coutumes néerlandaises de l’époque. Personnellement, je me promets de repasser sur les chapitres deuxième et quatrième, il y a là des postulats qui titillent mon imagination, qui m’émeuvent particulièrement.
Thème : portrait de la culture néerlandaise à l'âge d'or
Epoque : XVIe au XVIIIe siècles
Auteur : Simon Schama
Date d'édition : 1997 [1987]
Maison d'édition : Vintage, New York
L’embarras de certains, la bipolarité des autres
En 1987, Simon Schama, alors professeur à l’université d’Harvard, publiait une œuvre qui tendait un peu vers l’impossible : interpréter la culture néerlandaise à son apogée. De prime abord dans la définition des termes, l’objectif semble sibyllin et mérite certaines précisions. «Culture », «Néerlandaise » et «apogée », trois concepts plutôt difficiles à délimiter au tournant du XVIIe siècle. Quelle culture, la populaire, celle des élites? Qu’est-ce qui est proprement néerlandais alors que, la Guerre de Quatre-vingts ans se terminant en 1648, le territoire et l’existence même de la République n’étaient même pas encore assurés? Finalement, quelle est la durée de l’apogée néerlandaise? J. Israel faisant d’ailleurs état de l’iridescence de telles bornes en 1996 (Certains historiens plaçant cette frontière tardivement au XIXe siècle, d’autres à la conclusion de la Guerre de Succession d’Espagne – le fameux de vous, chez vous, sans vous du traité d’Utrecht – ou encore à l’invasion française de 1672. Jonathan Israel, The Dutch Republic, Its Rise, Greatness, and Fall 1477-1806, Oxford ; New York, Oxford University Press, 1231 pages.). En introduction, l’historien justifie sa recherche : il s’agit en fait de l’histoire de la culture bourgeoise à proprement parler – non pas dans le sens contemporain du terme, mais comme il l’indique au passage , dans le terme néerlandais de burgher, difficilement traduisible en français par «citadin ». Les précisions quant aux autres termes viennent aux deuxièmes et quatrièmes chapitres, qui sont d’ailleurs selon moi, les plus intéressants.
La thèse que Schama développe est plutôt simple : la culture néerlandaise inventée de toutes pièces à la fin du XVIe et dans la première moitié du XVIIe siècle, est constituée de la rencontre et la cohabitation de deux approches irréconciliables (richesses et piété, liberté et sécurité, mondanité et domesticité, etc.) qui transcendent et influencent la société indépendante issue de la crise iconoclaste de 1566 aux pays bas espagnols. Le second chapitre se penche sur la représentation que se faisaient les Néerlandais d’eux-mêmes, cette quête de situer leur existence et celle de la République dans le continuum temps de l’histoire humaine; qui sont-ils, quels sont leurs antécédents? Simon Schama argue que, afférents à leur bipolarité culturelle, deux récits se seraient ainsi démarqués : celui de la continuité humaniste (défendu par Grotius, Scriverius, la première génération d’«historiens » néerlandaise en tant que telle) remontant aux Bataves, peuple contemporain des Romains indigènes aux deltas de la Meuse et du Rhin actuels, avec lesquels les Néerlandais du XVIIe siècle partageraient immanquablement des qualités particulières. L’autre, celui très calviniste des enfants d’Israël lavés (le terme est juste selon la culture diluvienne issue des polders) des péchés antérieurs par la renaissance spontanée de la Nation. Le tout, cimenté par une bonne dose d’évènements contemporains : exactions et actes de barbarie commis à leur endroit par les Espagnols.
Ensuite, le quatrième chapitre aborde le problème plus concret de l’explication des référents que les Néerlandais s’étaient donnés pour définir l’espace existentiel que leur état républicain occupait dans une Europe des monarchies. C’est ainsi qu’il fait souvent appel aux clichés et stéréotypes véhiculés à l’époque sur les belliqueux voisins : Espagnols, Français et Anglais. En guerre de façon presque continue au XVIIe siècle, Schama décrit chez les Néerlandais une sorte de mentalité d’assiégé, de paranoïa dynamique et d’insolence adolescente chez une république valsant entre la volonté d’exalter la singularité de sa situation et la volonté de sécuriser son existence en redirigeant le champ de bataille européen vers un ailleurs autre que le pas de leur vestibule . Par ailleurs, si les chapitres suivants (ou précédents) sont intéressants, comme ceux sur la dichotomie épouse-traînée, la projection des anxiétés adultes sur l’enfance, le rapport aux richesses (chapitres six, sept et cinq), ils ne m’ont toutefois pas ébloui et chatouillé comme ceux cités plus haut qui s’inscrivaient dans un rapport plus identitaire et politique.
Cela dit, le Britannique maintenant professeur d’histoire de l’art à l’université Columbia, exploite de nombreux filons pour étayer son argumentation. Au niveau des sources primaires, ses recherches se fondent entre autres sur de nombreux récits de voyage (Aglionby, J. Parival, W. Temple), de traités politiques, moraux ou des chroniques (H. Grotius, J. Cats, Scriverius, J. Beverwijck), de poésie et de comédies satiriques (Vondel), un peu de correspondance, de manuels domestiques, de chansons populaires, de livres de cuisine et d’archives familiales et même un discours au parlement britannique et le journal d’une sage-femme frisonne. Tableaux, gravures et imprimés sont cependant le legs de l’époque ciblée qu’il évoque le plus abondamment afin de soutenir ses propos . De plus, cette surenchère d’éléments visuels est accompagnée d’une forte présence d’études en histoire de l’art. Ce leitmotiv de la part d’un historien/historien de l’art est passablement critiqué par certains intellectuels qui ne partagent pas particulièrement ce point de vue quant à la proéminence de l’interprétation des symboles visuels pour en tirer une interprétation juste de la culture néerlandaise . En effet, tout pittoresque qu’elle puisse l’être, la signification symbolique du fromage dans les natures mortes néerlandaises ou celle des bulles dans certains portraits d’enfants ne mérite probablement pas qu’on s’y attarde sur deux ou trois pages.
Les études d’éminents auteurs Néerlandais et Anglais sont aussi citées : Rowen, Israel, Huizinga mais somme toute, elles sont volontiers périphériques à la trame narrative et servent la plupart du temps à soutenir les arguments qu’il amène de son propre chef. D’ailleurs, les explications tirées de sources visuelles ne se mêlent que rarement à celles apportées par les sources (primaires ou secondaires) écrites. Certaines omissions sont notables : les déchirements doctrinaires affligeant l’Église réformée néerlandaise qui en deux occasions (Gomarus/Arminius et Voetius/Cocceius), prit un virage franchement inquiétant pour les autorités provinciales ainsi que le rôle de ce que J. Israel nomme les Lumières précoces dans l’histoire des Provinces-Unies : Spinoza, Descartes...
Dans l’ensemble, l’œuvre de Schama pose plusieurs questions et y répond efficacement étant donné que l’exégèse d’une culture ne peut être qu’approximative. En ce sens, le mot «interprétation » prend tout son sens dans l’évaluation de l’étude. Voguant aussi sur une histoire sociale, le lecteur apprend au passage amplement sur les coutumes néerlandaises de l’époque. Personnellement, je me promets de repasser sur les chapitres deuxième et quatrième, il y a là des postulats qui titillent mon imagination, qui m’émeuvent particulièrement.
Last edited: