Bob Lafayette said:
Dans les travaux en anthropologie, archéologie et culture comparée que j'ai pu étudier, il y a des grilles de lecture aussi. En anthropologie, l'idée que les organisations primitives mettent d'abord en avant l'organisation du partage du travail et de la gestion des ressources n'est pas inintéressante. Mais alors, je ne vois pas le rapport entre première organisation = organisation de l'économie et économie = centre de tout ET organisation de l'économie = préservation des intérêts généraux de la classe dirigeante.
Je veux dire la grille de lecture en question, qui permet de regarder des modes d'organisation du travail et de gestion des ressources n'a aucun intérêt à être détournée de son rôle d'étude concret. Parce qu'on lui fait dire ce qu'on veut.
Ensuite, parce qu'il y a aussi d'autres grilles de lectures, issues de la primatologie en particulier, qui mettent en avance que tous les primates vivant en groupe réagissent instinctivement sur un même mode :
- Ressource abondante : on s'en fout
- Ressource limitée et dispersée : compétition de vitesse
- Ressource limitée et concentrée : compétition de force
- Ressource manquante : solidarité.
On peut donc aussi se forger une autre vision de ces études anthropologiques sur le rôle particulier de toute organisation : mise en place de règles sur les compétitions et organisation de la solidarité dont l'objectif premier est la protection du groupe et des plus faibles du groupe. C'est ainsi qu'on aborde les sociétés, les structures, les états et le droit comme des outils de défense des sociétés contre les intérêts individuels. Et plus ces structures sont élaborées et formalisées et plus les intérêts individuels sont contenus.
C'est marrant, c'est ma façon de voir le monde ça.
A propos de l'origine de l'Etat , comme l'a dit Mauclerc c'est une notion compliqué et assez difficile à cerner .
Pour éviter de le dire moins bien voilà un extrait qui résume assez bien ma conception de la question , c'est assez long mais vu l'importance de la question c'est un moindre mal
:
"(...) Dans toute question relevant de la science sociale, la méthode la plus sûre, la plus indispensable pour acquérir effectivement l'habitude d'examiner correctement le problème, et de ne pas se perdre dans une foule de détails ou dans l'extrême diversité des opinions adverses, la condition la plus importante d'une étude scientifique, c'est de ne pas oublier l'enchaînement historique fondamental ; c'est de considérer chaque question du point de vue suivant : comment tel phénomène est apparu dans l'histoire, quelles sont les principales étapes de son développement ; et d'envisager sous l'angle de ce développement ce que ce phénomène est devenu aujourd'hui.
Avant que surgît la première forme de l'exploitation de l'homme par l'homme, la première forme de la division en classes - propriétaires d'esclaves et esclaves, - il y avait la famille patriarcale ou, comme on l'appelle parfois, clanale (du mot clan, génération, lignée à l'époque où les hommes vivaient par clans, par lignées), et des vestiges assez nets de ces époques anciennes ont subsisté dans les mœurs de maints peuples primitifs ; si vous prenez un ouvrage quelconque sur les civilisations primitives, vous y trouverez toujours des descriptions, des indications, des souvenirs plus ou moins précis attestant qu'il fut un temps plus ou moins semblable à un communisme primitif, où la société n'était pas divisée en propriétaires d'esclaves et en esclaves. Alors il n'y avait pas d'Etat, pas d'appareil spécial pour user systématiquement de la violence et contraindre les hommes à s'y soumettre. C'est cet appareil qu'on appelle l'Etat.
Dans la société primitive, à l'époque où les hommes vivaient par petits clans, aux premiers degrés du développement, dans un état voisin de la sauvagerie, une époque dont l'humanité civilisée moderne est séparée par des milliers d'années, on n'observe pas d'indices d'existence de l'Etat. On y voit régner les coutumes, l'autorité, le respect, le pouvoir dont jouissaient les anciens du clan ; ce pouvoir était parfois dévolu aux femmes - la situation de la femme ne ressemblait pas alors à ce qu'elle est aujourd'hui, privée de droits, opprimée ; mais nulle part, une catégorie spéciale d'hommes ne se différencie pour gouverner les autres et mettre en œuvre d'une façon systématique, constante, à des fins de gouvernement, cet appareil de coercition, cet appareil de violence que sont à l'heure actuelle, vous le comprenez tous, les détachements armés, les prisons et autres moyens de contraindre la volonté d'autrui par la violence, qui constitue l'essence même de l'Etat.
Si l'on fait abstraction des doctrines religieuses, des subterfuges, des systèmes philosophiques, des différentes opinions des savants bourgeois, et si l'on va vraiment au fond des choses, on verra que l'Etat se ramène précisément à cet appareil de gouvernement qui s'est dégagé de la société. C'est quand apparaît ce groupe d'hommes spécial dont la seule fonction est de gouverner, et qui pour ce faire a besoin d'un appareil coercitif particulier, - prisons, détachements spéciaux, troupes, etc., afin de contraindre la volonté d'autrui par la violence, alors apparaît l'Etat.
Mais il fut un temps où l'Etat n'existait pas, où les rapports sociaux, la société elle-même, la discipline, l'organisation du travail tenaient par la force de l'habitude et des traditions, par l'autorité ou le respect dont jouissaient les anciens du clan ou les femmes, dont la situation était alors non seulement égale à celle des hommes, mais souvent même supérieure, et où il n'existait pas une catégorie particulière d'hommes, de spécialistes, pour gouverner. L'histoire montre que l'Etat, appareil coercitif distinct, n'a surgi que là et au moment où est apparue la division de la société en classes, donc la division en groupes d'hommes dont les uns peuvent constamment s'approprier le travail d'autrui, là où les uns exploitent les autres.
Il doit toujours être évident pour nous que cette division de la société en classes au cours de l'histoire est le fait essentiel. L'évolution des sociétés humaines tout au long des millénaires, dans tous les pays sans exception, nous montre la loi générale, la régularité, la logique de cette évolution : au début, une société sans classes, une société patriarcale, primitive, sans aristocratie ; ensuite, une société fondée sur l'esclavage, une société esclavagiste. Toute l'Europe civilisée moderne passa par là : l'esclavage y régnait sans partage il y a deux mille ans. Il en fut de même pour l'écrasante majorité des peuples des autres continents. Des traces de l'esclavage subsistent, aujourd'hui encore, chez les peuples les moins évolués, et vous trouverez même à présent des institutions relevant de l'esclavage, en Afrique par exemple. Propriétaires d'esclaves et esclaves : telle est la première grande division en classes. Aux premiers appartenaient tous les moyens de production, la terre, les instruments, encore grossiers et primitifs, et aussi des hommes. On les appelait propriétaires d'esclaves, et ceux qui peinaient au profit des autres étaient dits esclaves.
A cette forme sociale, une autre, le servage, succéda au cours de l'histoire. Dans l'immense majorité des pays, l'esclavage se transforma en servage. Seigneurs féodaux et paysans serfs : telle était la principale division de la société. Les rapports entre les hommes changèrent de forme. Les propriétaires d'esclaves considéraient les esclaves comme leur propriété, ce qui était consacré par la loi : l'esclave était une chose qui appartenait entièrement à son propriétaire. Pour le paysan serf, l'oppression de classe, la sujétion, subsistait ; mais le seigneur n'était pas censé posséder le paysan comme une chose ; il avait seulement le droit de s'approprier les fruits de son travail et de le contraindre à s'acquitter de certaines redevances. Pratiquement, vous le savez tous, le servage, notamment en Russie où il s'était maintenu le plus longtemps et avait pris les formes les plus brutales, ne se distinguait en rien de l'esclavage.
Par la suite, à mesure que le commerce se développait et qu'un marché mondial se constituait, à mesure que s'étendait la circulation monétaire, une nouvelle classe, celle des capitalistes, apparut dans la société féodale. La marchandise, l'échange des marchandises, le pouvoir de l'argent, engendra le pouvoir du capital. Au cours du XVIIIe siècle, ou plutôt à partir de la fin du XVIIIe siècle, et durant le XIXe siècle, des révolutions éclatèrent dans le monde entier. Le servage fut aboli dans tous les pays d'Europe occidentale. C'est en Russie qu'il disparut le plus tard. En 1861, la transformation s'y produisit également, à la suite de quoi une forme sociale se substitua à une autre ; le servage cède la place au capitalisme où la division en classes demeurait, ainsi que des traces et des survivances du servage, mais où, pour l'essentiel, la division en classes affectait une autre forme.
Les détenteurs du capital, les possesseurs de la terre, les propriétaires de fabriques et d'usines constituaient et constituent dans tous les Etats capitalistes une infime minorité de la population, qui dispose de tout le travail de la nation et qui partant tient à sa merci, opprime et exploite la masse des travailleurs, dont la majorité sont des prolétaires, des ouvriers salariés qui, dans le processus de la production, ne se procurent des moyens de subsister qu'en vendant leurs bras, leur force de travail. Avec le passage au capitalisme, les paysans, disséminés et opprimés à l'époque du servage, deviennent en partie des prolétaires (c'est la majorité), en partie des paysans aisés (c'est la minorité) qui eux-mêmes embauchent des ouvriers et forment une bourgeoisie rurale.
Vous ne devez jamais perdre de vue ce fait fondamental : la société passe des formes primitives de l'esclavage au servage, et, finalement, au capitalisme ; en effet, ce n'est que si vous vous rappelez ce fait essentiel, si vous inscrivez dans ce cadre fondamental toutes les doctrines politiques, que vous pourrez les juger correctement et comprendre à quoi elles se rapportent ; car chacune de ces grandes périodes de l'histoire humaine - esclavage, servage et capitalisme - embrasse des milliers ou des dizaines de milliers d'années, et offre une telle diversité de formes politiques, de théories, d'opinions, de révolutions politiques, qu'il est impossible de se retrouver dans cette extraordinaire diversité, dans cette variété prodigieuse, se rattachant surtout aux théories politiques, philosophiques et autres des savants et des hommes politiques bourgeois, si l'on ne prend une bonne fois pour fil d'Ariane cette division de la société en classes, le changement des formes de la domination de classe, et si l'on n'analyse de ce point de vue tous les problèmes sociaux, d'ordre économique, politique, spirituel, religieux ou autre.
Si vous considérez l'Etat en partant de cette division primordiale, vous constaterez, comme je l'ai déjà dit, qu'avant la division de la société en classes, l'Etat n'existait pas. Mais à mesure que se dessine et s'affirme la division de la société en classes, avec la naissance de la société de classes, on voit l'Etat apparaître et se consolider. Au cours de l'histoire de l'humanité, des dizaines et des centaines de pays ont connu et connaissent l'esclavage, le servage et le capitalisme. Dans chacun d'eux, malgré les immenses transformations historiques qui se sont produites, malgré toutes les péripéties politiques et les révolutions corrélatives à ce développement de l'humanité, au passage de l'esclavage au servage, puis au capitalisme et à la lutte aujourd'hui universelle contre le capitalisme, - vous verrez toujours surgir l'Etat. Celui-ci a toujours été un appareil dégagé de la société et composé d'un groupe d'hommes s'occupant exclusivement ou presque exclusivement, ou principalement, de gouverner. Les hommes se divisent en gouvernés et en spécialistes de l'art de gouverner, qui se placent au-dessus de la société et qu'on appelle des gouvernants, des représentants de l'Etat. Cet appareil, ce groupe d'hommes qui gouvernent les autres, prend toujours en mains des instruments de contrainte, de coercition, que cette violence soit exercée par le gourdin à l'âge primitif, ou par des armes plus perfectionnées à l'époque de l'esclavage, ou par des armes à feu apparues au moyen âge, ou enfin au moyen des armes modernes qui sont, au XXe siècle, de véritables merveilles, entièrement basées sur les dernières réalisations de la technique. Les formes sous lesquelles s'exerçait la violence ont changé, mais toujours, dans chaque société où l'Etat existait, il y avait un groupe d'hommes qui gouvernaient, commandaient, dominaient et qui, pour garder le pouvoir, disposaient d'un appareil de coercition, d'un appareil de violence, de l'armement qui correspondait au niveau technique de l'époque. Et c'est uniquement si nous considérons ces faits d'ordre général, si nous nous demandons pourquoi l'Etat n'existait pas quand il n'y avait pas de classes, lorsqu'il n'y avait ni exploiteurs ni exploités, et pourquoi il a surgi quand les classes sont apparues, que nous trouverons une réponse nette à cette question : quelle est la nature de l'Etat et quel est son rôle ?
L'Etat, c'est une machine destinée à maintenir la domination d'une classe sur une autre. Quand la société ignorait l'existence des classes ; quand les hommes, avant l'époque de l'esclavage, travaillaient dans des conditions primitives, alors que régnait une plus grande égalité et que la productivité du travail était encore très basse ; quand l'homme primitif se procurait à grand-peine ce qui était nécessaire à sa subsistance sommaire et primitive, il n'y avait pas, il ne pouvait y avoir de groupe d'hommes spécialement chargés de gouverner et faisant la loi sur le restant de la société. C'est seulement quand l'esclavage, première forme de division de la société en classes, est apparu ; quand une classe d'hommes, en s'adonnant aux formes les plus rudes du travail agricole, a pu produire un certain excédent, et que cet excédent qui n'était pas absolument indispensable à l'existence extrêmement misérable de l'esclave, était accaparé par les propriétaires d'esclaves, c'est alors que cette dernière classe s'est affermie ; mais pour qu'elle pût s'affermir, il fallait que l'Etat apparût.(...)"
Lénine "De l'Etat" 1919
Une conférence faite le 11 juillet 1919 à l'université Sverdlov.
http://www.marxists.org/francais/lenin/works/1919/07/19190711.htm