Chapitre XIV: 1530-1540
Le Royaume d'Autriche avait connu une expansion frénétique au cours de ce siècle. L'impératif des Habsbourgs, la défense du Saint Empire Romain Germanique, avait rendu nécessaire l'intégration de nombreuses principautés et la création du Royaume. Peu de puissances européennes avaient approuvé cette évolution. La défaite tonitruante de la France avait été appréciée et mise au crédit de l'Autriche, mais sa propre force inspirait maintenant la crainte et la méfiance. En conséquence, Franz II Stefan estima qu'il serait sage d'éviter au possible tout nouveau conflit, le temps que l'agitation des rois voisins s'apaise.
Il y avait par ailleurs fort à faire dans le domaine du commerce. Un duché de Croatie indépendant du Royaume de Hongrie s'était formé aux portes des terres du comte de Throax et défiait l'élite des marchands européens partout où celà était possible. Les bourgeois d'Autriche eurent beaucoup de mal à maintenir leur monopole dans les ports hanséatiques de Poméranie, et la concurrence était grande en Andalousie aussi, où l'on se vendait les marchandises venues du mystérieux Nouveau Monde.
La lutte contre les hérétiques demandait également beaucoup d'énergie et d'or. La croix et le fer parvinrent à repousser en grande partie les mécréants hors des frontières du Saint Empire. Le comté de Württemberg, la principauté d'Aquileia, le duché d'Ansbach et la ville libre de Lüneburg en étaient les derniers partisans, si l'on omet les dérives flamandes et hollandaises. Le Royaume d'Autriche en était pratiquement libre aussi. Seuls quelques irréductibles résistaient encore à la véritable Foi à Nassau.
La France et la Suède étaient elles violemment atteintes de la gangrène protestante. Il fallait parfois marcher plusieurs centaines de lieues avant de trouver un village commis à la religion catholique! C'était un miracle qu'aucun de ces princes n'ait encore renié ses promesses et embrassé les croyances traitresses insufflées par le diable.
Le Royaume-Uni nouvellement formé tentait lui d'affermir sa présence encore minime en Méditerranée. Les quelques régiments britanniques qui avaient été envoyés guerroyer contre l'Empire Ottoman eurent un succès inouï. Les cités grecques s'en remirent aux chrétiens qui étaient venus les soulager du joug musulman, pendant que le Sultan désespérait de rassembler une troupe assez importante pour chasser ces envahisseurs malvenus. Son armée était bloquée en Anatolie, où les successeurs du légendaire Timur Lang lui causaient bien des misères.
Dans la nuit 13 décembre 1531, Franz II Stefan rejoignit ses ancêtres au paradis. Il fut trouvé le matin, le visage calme et serein, emporté durant son sommeil. Son fils aîné Leopold fut couronné la semaine suivante, s'ensuivirent les banquets habituels et le faste de la cour. Les électeurs impériaux lui remirent les insignes d'Empereur, il avait été élu à une large majorité.
Beau parleur et chasseur de renom, Leopold VIII était bien préparé pour diriger l'Autriche. Durant les années de formation que son père avait surveillées de près, il brilla particulièrement lors de la campagne de Suède, où il dirigea un régiment de
Reiter. Les longues discussions avec les gouverneurs et clercs n'avaient par contre pas été à son goût. Il préféra laisser ses adjoints décider des détails de l'administration royale, et ne changea rien au système instauré par son père. Ne sachant trop que privilégier, il répartit de manière égale les investitions dans les divers artisanats, comblant par là involontairement le retard important de connaissances et techniques en ingéniérie navale.
Il mit beaucoup d'ardeur à enfin obtenir le duché de Savoie, depuis des décennies vassal de l'Autriche. Après maints échanges de cadeaux, de lettres, de compliments et d'ultimata, le duc Aheccio céda et reconnut l'autorité suprême du Roi et Empereur. Milan était désormais presque encerclée, la France encore plus isolée.
Le duché milanais en était fort inquiet et refusa de voler au secours de son allié croate, qui s'était attaqué à la république de Raguse, garantie dans ses frontières par l'Autriche. Une guerre lombarde avait été évitée de peu! La Croatie était seule face à nos armées! Le duc de Croatie tenta un assaut insensé envers les forteresses protégeant les riches mines d'or de Carinthie. Son entreprise dura autant de semaines qu'il fallut à l'armée du Rhin pour marcher vers les terres héréditaires. La poignée de téméraires croates fut littéralement laminée par les masses d'infanterie autrichiennes, tandis que l'armée impériale prenait à partie avec ses canons de fer forgé les quelques places fortes de Slavonie.
Cinq mois plus tard, tout le pays était occupé. Le comte de Throax poussait à l'annexion pure et simple, mais son Empereur cria gare. Une expansion inconsidérée aurait des conséquences imprévisibles, l'Autriche se devait de rester calme et soucieuse de la paix. Leopold VIII demanda donc au duc de Croatie de le reconnaître comme suzerain, ce qu'il fit prestement.
Ce geste sage soulagea bien des esprits craintifs en Europe. Le Saint Empire Romain Germanique pouvait espérer une nouvelle ère de prospérité et de paix. Les grands ennemis de l'autorité impériale étaient faibles ou occupés ailleurs. Le Royaume-Uni et la Castille se battaient pour des colonies au-delà des mers de l'Atlantique, aux confins de la Terre.
Des colonies ... Leopold en rêvait aussi. Les histoires exotiques qui lui parvenaient de Castille avaient excité son imagination au plus haut point. Rien ne pouvait l'arrêter, il voulait lui aussi que l'Autriche aille convertir les peuples qui n'avaient pas encore été éclairés par le catholicisme! Hélas, bien peu de navires battaient pavillon autrichien. Quelques caraques patrouillaient autour du port d'Anvers, quelques galères pouvaient être rencontrées ci et là. Voguer jusqu'au Brésil, c'était chose impossible. Ainsi, la seule destination plausible, c'était le Nord. Les Anglais avaient parlé de terres glacées aux confins de l'océan, et il fut possible d'en obtenir des cartes approximatives contre une forte somme d'argent.
Une expédition fut préparée à grands frais,
Austriae est imperare orbi universo ...
Les indigènes rencontrés s'avérèrent très réceptifs. Ils étaient peu nombreux et mal armés, mais la moindre attaque aurait eu un effet désastreux sur la minuscule colonie construite par une centaine des notres. De la patience était nécessaire pour acheminer les colons, qui se portaient volontaires au compte-goutte. Peu à peu, un semblant d'activité économique s'installa, la pêche prédominant. Les échanges commerciaux avec les indigènes furent infructueux, car ils n'avaient pas grand chose à échanger.
Dans l'Empire, Leopold VIII s'attelait à l'éternelle tâche des Habsbourgs: gagner la faveur des électeurs. Des vagues de conversions au protestantisme secouaient régulièrement les régions périphériques. Leopold suspectait les dignitaires locaux de saboter le travail des religieux catholiques, et s'accapara une partie de leurs droits. Les révoltes qui s'ensuivirent ne mirent pas longtemps à être réprimées avec la sévérité adéquate.
La marine autrichienne s'entraîna dans les eaux côtières d'Anvers, s'efforcant de chasser les nombreux pirates qui en voulaient aux navires de commerce. Plusieurs galères ennemies furent ainsi détruites. La liaison avec la colonie du Grünland put être maintenant tant bien que mal, et souvent plus mal que bien. Ce ne fut qu'en 1539 qu'un gouverneur fut nommé. Le baron de Franche-Comté John de Bykool, tombé en disgrâce, fut envoyé superviser les difficiles travaux sur place.