L'attaque de Carthage
Nous trouverons un chemin ... ou nous en créérons un.
Hannibal lors de la traversée des Alpes
A bord du Francisque, De Gaulle attendait son heure en se remémorant sa conversation avec le général Juin. Il avait donné un nom à la machine à bord de laquelle il faisait la guerre et il avait demandé à tous ses hommes d'en faire de même. Il fallait que chaque homme se sente à bord de son char comme un matelot sur un navire, un élément indispensable d'un ensemble qui leur fournissait une grande force. Ce nom donné personnalisait leur « boite de conserve » lui donnait une forme plus humaine, ainsi chacun se sentait un peu plus responsable de son char, plutôt que d'un vulgaire Renault suivi d'un n° de série.
Juin lui avait donné sa vision de la marche à suivre par rapport à la situation actuelle. Avec Burgos tombée une semaine plus tôt et désormais aux mains des Républicains, l'Espagne Nationaliste se retrouvait coupée en trois.
Une poche à l'ouest de madrid comprenant les provinces de Valladolid et Salamanque serait aisément et rapidement réduite. Les armées chargées de cette réduction prendraient ensuite la direction de Vigo, tandis que les armées stationnées à Burgos attaqueraient Gijon avant de libérer le pays basque.
Restait enfin la part la plus importante, réduire la poche sud. Un terrain souvent montagneux avec de nombreuses rivières importantes à traverser, un cauchemar pour un attaquant qui pouvait voir son action tourner au fiasco à cause d'une mauvaise étude des conditions géographiques.
Des reconnaissances avaient annoncées que Grenade et ses environs avaient été renforcés et étaient très bien tenus. La ville serait donc laissée de coté pour le moment et serait attaquée quand les armées auraient fait jonction dans la région. La ville servirait même de pivot pour le « mouvement sud » comme l'appelait l'Etat major. Deux attaques conjointes dans le sud de la péninsule ibérique prendraient d'assaut les provinces voisines de la ville dans un mouvement tournant avant de se rabattre sur la région fortifiée une fois celle-ci isolée. Le premier mouvement devait partir de Badajoz, un nombre important de fantassin y prendrait part, les nombreux fleuves à traverser n'étant pas à l'avantage des véhicules motorisés.
De Gaulle était du deuxième mouvement partant d'Albacette il devait enfoncer l'ennemi près de Cartagène malgré le relief assez important.
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Deux centaines de chars étaient sous ses ordres, deux divisions! Il avait reçut un grade spécial provisoire pour qu'on ne s'offusque pas qu'un simple deux étoiles ait pareil commandement. Une occasion de prouver la validité de ses vues, il ne fallait pas la gâcher.
Il avait décidé d'attaquer dans une formation en V, les blindés allaient passer dans une vallée avant d'atteindre l'ennemi, elle n'était pas particulièrement étroite mais pas très large non plus, des attaques depuis les contreforts montagneux étaient à prévoir.
La formation prévue permettrait d'assurer une surveillance des flancs du corps d'assaut, deux brigades resteraient en retrait prêtes à porter secours en cas d'attaque ennemie sur un point où un autre;.
Comme ce capitaine dont il entendait parler par Juin, De Gaulle misait sur la vitesse d'exécution alliée à la force cuirassée de son arme, l'attaque ne pouvait se permettre de stopper à moins d'y être obligé sous peine de perdre l'effet de surprise, ce qui permettrait à l'ennemi de mettre en place la logistique anti-char.
Et en cette fin de matinée les boites de conserves comme les surnommaient les hommes des premières divisions blindées françaises, formaient une formidable armada d'acier vrombissant. Cette évocation d'armada déplaisait à De Gaulle synonyme d'invincibilité et de désastre tout à la fois.
« Les pressentiments ne font pas gagner les batailles » se dit-il tandis que le Francisque s'élançait donnant le signal de départ aux autres engins.
De Gaulle était anxieux, il voyait partout matière à piège pour ses hommes, mais faisait en sorte de ne rien en montrer. Il commençait à se demander s'il ne s'était pas trompé et si les ?Nationalistes n'avaient pas concentrer tout leur armement en prévision d'une attaque, ce qui pourrait lui faciliter la tache, en fin de compte. Le couvert de la forêt dans laquelle ils allaient pénétrer lui assura un répit temporaire, un char partit comme convenu en éclaireur, s'assurer que la colonne formée en forêt ne se ferait pas attaquer en sortie. Tout allait bien de ce coté là et la progression continuait sans embûche, ce qui lui plaisait de moins en moins.
Enfin la vallée déboucha sur un plaine et sur l'ennemi, prêt à défendre apparemment. Comme convenu, les blindés commencèrent à former trois groupes d'attaque, dont il nota stupéfait la grande faiblesse numérique du flanc droit. Les brigades de réserves manquaient à l'appel, il allait devoir faire sans. Le flanc droit devrait se débrouiller ainsi, et le groupe centre de De Gaulle essayerait de lui porter assistance autant que possible.
Les obus adverses créèrent les premiers geysers de terre quand de Gaulle ordonna de se préparer aux premiers tir.
Les mitrailleuses des chars crépitaient pour atteindre les fantassins ennemis, pendant que de Gaulle cherchaient des yeux les canons qui les bombardaient.
Trop tard, un char était atteint. L'épaisse fumée qui s'en dégageait diminuait encore la visibilité. Un coup au but toucha un deuxième char sur le flanc droit. De Gaulle fit signe de porter secours au flanc encore plus affaiblie par cette attaque.
Les chars en train de manoeuvrer furent à leur tour pris pour cible. Des canons de plus faible calibre n'attendaient que cette réponse pour attaquer les flancs des chars moins bien blindés que l'avant.
De Gaulle lança aussitôt le contrordre de foncer dans les défenses ennemies. La force cuirassé se précipita en avant pour franchir l'écran de fumée et de terre qui les aveuglaient. Quelques centaines de mètres plus loin, la chance des petits calibres ennemis était passée. Incapable de percer les blindages frontaux et leur invisibilité perdue, ces pièces d'artillerie furent détruites rapidement.
De Gaulle hésita à se tourner à nouveau à droite, où les pièces plus lourdes qui avaient attaqué le flanc droit demeuraient, peut-être même des chars rodaient-ils. Et l'infanterie ennemie n'avait pas non plus été réduite.
Finalement il réorganisa ses divisions pour éviter tout nouvelle surprise alors que les canons tonnaient toujours sur sa droite. Tout cela était trop long comme l'avaient été les ordres précédents. Ils auraient du déjà être en mouvements, mais les ordres n'avaient pas été bien compris. Il fallu les retransmettre, encore du temps perdu. Et les grondements des canons qui semblaient marquer chaque seconde de l'enfer de son flanc droit laissé à l'abandon.
On repartit à l'assaut. Enfin. Tout n'était pas parfait, mais il fallait au moins atteindre l'ennemi avant qu'il ne se retourne. Malgré le concert assourdissant des diesels lancés à pleine puissance, le tonnerre des tirs ennemis se fit de plus en plus puissant. Bientôt ils furent en vue. Un sifflement puis une détonation à gauche. Ils avaient été repérés. Mais les assaillants avançaient toujours comme à marche forcé. Partout la fumée régnait : sortie des moteurs, des carcasses en flamme, formée de la poussière retournée par les obus ou les pans de murs qui s'écroulent. Partout la fumée régnait et elle protégeait leur chevauchée et elle protégeait les positions ennemies, formes floues et fantomatiques comme sans substance.
Puis la clarté, le choc: attaquants et défenseurs furent presque canon contre canon. Mais cette fois personne n'hésita et les affûts crachèrent le feu et le métal. A cette distance de tir aucun blindage ne résista et bientôt, les débris métalliques volèrent et plurent. Le cliquetis des restes ennemis retombants sur les chars était sans fin mais les tirs continuèrent. Des chars nationalistes tentèrent de faire face mais le nombre jouait en leur défaveur, et lorsque la dernière pièces d'artillerie fut détruite par les Français, ils rompent le combat. De Gaulle ne voulait pas les voir s'échapper et lança son armada à leur poursuite.
Encore un sifflement, venant de la droite. Cette fois ci c'était un des leurs qui les attaquait ! Le flanc droit n'était pas au courant des évolutions et toucha un blindé français. De Gaulle préfèra arrêter les frais. on abandonna la poursuite et le reste de la position fut nettoyée dans l'heure qui suivit. Sans blindé ni artillerie les Nationalistes ne pouvaient rien faire et se rendirent.
« La voie est ouverte, se dit De Gaulle la province ne peut plus être tenue par les nationalistes. Et le blindés n'auront pas à franchir les fleuves mais comme la victoire ne tenait qu'à un fil bien ténu. »
Après avoir félicité ses hommes, De Gaulle s'attabla dans sa tente et écrivit une lettre au général Juin qui se terminait ainsi:
« En effet l'opération est un succès mais, et cela doit rester entre nous, j'ai entrevu le désastre qu'elle aurait pu devenir, l'attaque en masse ne pourra pas toujours fonctionner à moins d'avoir un nombre de char faramineux dont nous ne disposerons sans doute jamais. Il va nous falloir trouver une façon de réagir plus vite aux imprévus sans quoi nous risquons une hécatombe au moindre accroc. »