Aujourd'hui nous avons un avenir et l'espoir, que demander de plus? Rien, ces Français en transit nous ont offert, plus que nous ne pourrons jamais leur rendre. Pour cela merci, mille fois merci, Messieurs les Français.
Salvator
Les caractères en majuscules et dans toutes les typographies étaient toujours les mêmes. Ils annonçaient la fin des hostilités et le triomphe de la République Espagnole:
Vitoria!
Paz!
Salvator connaissait, lui, la nouvelle depuis la veille, le général Miaja Menant avait obtenu la reddition sans condition des forces franquistes. Et aujourd'hui 18 septembre 1937 à 11 heures cesseraient définitivement les combats qui déchiraient l'Espagne depuis un an déjà. Clin d'oeil de l'histoire la fin du plan français "Reconquista" avait eu lieu à Grenade.
Les Français! Ils étaient si discrets, cette victoire était la leur pourtant, mais pour eux, pas de défilé pas d'embrassade chaleureuse des femmes. Simplement quelques salutations sincères de la part de ceux à qui ils avaient offert la liberté, quand ils voyaient passer les colonnes d'hommes qui marchaient vers les Pyrénnées, vers la France. La politique voulait qu'on les oublie, près de 300 000 français avaient passé six mois sur le sol espagnol, et pourtant la France n'avait jamais été en guerre. Pour des raisons géopolitiques, cette aide resterait longtemps sans nom ni reconnaissance même si personne n'était dupe.
Salvator observa la pierre blanche d'un bâtiment qui semblait avoir jaunit. Le soleil en cette fin d'été parait les rues d'ambre, de tons plus chaleureux que l'écrasante lumière blanche de la fournaise zénithale qu'on vivait quelques mois plus tôt. Un temps parfait pour cette grande célébration, et ces rues grouillantes d'une félicité qu'on ne connaîtrait peut-être plus jamais aussi grande.
Qui, dans cette atmosphère, pensait à ces soldats, dans les rues de Barcelone où l'on fêtait la paix, et où on la fêterait jusque tard dans la nuit et le matin? Bien sûr, on ne pouvait pas faire de reproche à ces gens, leur joie était légitime. Salvator la partageait en observant les jeunes gens danser pleins d'allégresse et de fougue. On leur avait offert à un avenir, il leur revenait d'en profiter et de faire de même pour leur enfants. Evidemment des problèmes subsistaient, sous peu les communistes essayeraient de prendre le pouvoir, mais comme la victoire n'était pas la leur ils ne feraient probablement pas le poids.
Et puis les dissensions ne s'étaient pas évanouies parce que deux généraux avaient signé un papier. Il faudrait veiller, à ce que chacun trouve sa place en Espagne. Les régions demanderaient plus d'autonomie, le pouvoir de Madrid rechignerait. Oui, il y avait tant à régler.
Il allait aussi falloir reconstruire ce que la guerre avait détruit, juger les chefs coupables au nombre desquels manqueraient Franco que s'était suicidé lors de l'assaut sur Grenade. Un fait qui ne surprenait pas Salvator, les tyrans dans son genre n'assumait jamais leurs défaites. Juger les chefs coupables et pardonner les soldats coupables également, car une démocratie ne peut vivre dans l'absolu de ses principes. Mieux valait accorder son pardon à tous que monter des gibets dans tout le pays et nourrir de futures rancoeurs.
Des enfants en bande passèrent en courant près de lui, criant joyeusement. Sorti de sa rêverie par le joyeux brouhaha Salvator s'aperçut que le soir tombait. Il avait passé la journée à déambuler les rue de la capitale catalane, perdu dans ses pensées, étranger à la joie que tous vivaient.
Cette joie qui l'accompagnait si souvent, et dont chacun lui était un peu redevable. Cette pensée était sans vanité ni prétention, il savait que l'enquête qu'il avait menée avec Jean et Nùria avait grandement favorisé l'intervention française.
Jean et Nùria qu'ils lui manquaient! Cette fête auraient aussi dû être la leur, il se promit de leur écrire sitôt rentré chez lui.
Mais pour l'heure, il s'était résolu à rejoindre la foule ivre de bonheur et à partager son ivresse. Il s'assit à la terrasse d'un bar, face à une petite place bordée d'arbre centenaire. Il observa les danseurs chaperonnés par les plus anciens dont l'oeil se courrouçait lorsque les jeunes hommes se faisaient trop proches des filles. Nul doute cependant que dans les festivités certains arriveraient à leurs fins. Il tapa dans les mains en rythme et repris les chants entamés. Il démarra des conversations légères avec plusieurs voisins de table anonymes, chacun révélant ses espoirs les plus fous. Et pourquoi pas après tout disait-il à Salvator, dix mois plus tôt c'en était presque fini de la république et aujourd'hui elle fêtait la victoire.
Que ces mots étaient enivrants et pleins de vérité! Avenir, liberté, espoir chacun portait avec lui tant de promesses. Il y aurait des difficultés comme celles qu'il avait recensées au cours de la journée. Il y en avait toujours eu, mais aujourd'hui ils avaient le choix de leur destin, c'était à eux de construire.
Finalement Salvator rentra tard, sa femme le gronderait le lendemain mais peu importait. Enivré par la fête et l'alcool, il garda cependant assez de lucidité pour écrire à ses amis puis entamer l'article rendant hommage aux soldats français auquel il avait pensé dans la journée.
La plume imbibée d'encre, il commença d'écrire le titre:
« Gracias los hombres franceses »