Albert II (Archiduc 1330-1384) : temps de paix et essor
1) Renouveau des liens avec la Papauté
Exilée depuis 1304, la Curie romaine a cherché tout au long du XIVe siècle à reconquérir ses territoires italiens. Après avoir fui à Pérouse puis en France, le Pape s’est établi à Carthagène, en Espagne, où Henri II de Castille a offert son soutien à l’effort diplomatique papal. Malheureusement, la situation castillane à l’époque a poussé Innocent VI à chercher l’appui de l’Autriche.
Innocent VI, peinture du XVIIIe siècle par Henri Ségur.
La position difficile des Habsbourg en Terre d’Empire jusqu’aux années 1370 avait limité cet appui à des menaces de guerre pour la récupération de Rome, sans pouvoir se lancer dans un réel conflit. Désespéré de tant de retard dans la résolution de cet exil, Urbain V et Grégoire XI entament des pourparlers avec les Colonna. Depuis l’attentat d’Anagni, cette famille importante espérait en effet que la Papauté revienne sur la condamnation de Sciarra Colonna qui avait tenté de capturer le pape Boniface VIII. Ce n’est que le 19 mai 1377 que Grégoire XI décide de lever la bulle
Flagitiosum Scelus. La Curie retrouve alors le Vatican sans pouvoir faire valoir ses droits sur les autres terres des Etats pontificaux.
Navré de n’avoir pu aider le Pape à retrouver ses domaines, Albert II tente alors de jouer de toute son influence en Italie pour soumettre les nobles romains. Le patriarche de Dalmatie, en poste à Zadar, Tommaso da Frignano, est envoyé à Rome pour rapprocher le Pape de la noblesse locale. En 1378, il est élu cardinal, représentant à la Curie de l’Autriche. Peu de temps après, il est choisi secrétaire personnel du Pape.
2) Lutte d’influence dans le Saint-Empire
Le rapprochement entre l’Autriche et la Papauté est la conséquence directe du refus d’intervention bohémien dans la guerre contre la Hongrie quelques années plus tôt. Comprenant que l’Empereur ne ferait rien pour défendre les intérêts des sujets allemands et visait à affaiblir ses opposants politiques, Albert II cherche un appui de poids lui permettant d’évincer les bohémiens du trône impérial.
Depuis la fin de l’opposition entre Frédéric Barberousse et Innocent IV en 1254, la Papauté a joué un rôle ambigu au sein de l’Empire. En appuyant les anti-rois de Germanie, le Pape a tenté de déstabiliser l’Empire pour tenter de retrouver la primauté sur l’élection. Mais l’avènement de Charles IV, choisi par le Pape, a très vite pris ses distances vis-à-vis de Rome. La ratification de la Bulle d’Or éloigne définitivement le Saint-Siège dans le choix de l’Empereur.
Le rapprochement entre Grégoire XI puis Urbain VI et les Habsbourg laisse un temps espérer à Rome un retour de fait à la suprématie papale en terre d’Empire. Tommaso da Frignano joue d’ailleurs dans ce sens en assurant à la Curie le soutien plein et entier de l’Autriche à la Curie face à la noblesse.
Tommaso da Frignano, miniature tirée de
Araldica Vaticana
Urbain VI compte notamment sur le soutien de plus en plus grand des électeurs pour les Habsbourg. Echaudés par les multiples conflits lancés par Charles IV de Bohème en terre d’Empire (contre le Brandebourg dans les années 1360 notamment pour prendre la Silésie ; contre l’Autriche, la Saxe-Meissen et le Luxembourg également) et le refus de celui-ci d’intervenir dans la défense des principautés (attaque des Hongrois et des Polonais, de la France en Hainaut, etc.), plusieurs électeurs se rapproche de l’Autriche.
Robert Ier de Wittelsbach, comte Palatin, marie sa fille Marguerite, âgée de seulement 3 ans, à Sigmund Franz de Tyrol. Une alliance est également signée entre les deux monarques. Peu à peu, tous les électeurs se détachent de la Bohème. Charles IV avait été choisi en 1352 car il ne semblait pas pouvoir effacer l’autorité des princes allemands centraux. Le royaume de Bohème, antérieurement périphérique, devient alors trop menaçant, en particulier pour les électeurs mineurs.
Appuyant ses décisions par sa place restaurée auprès des électeurs (Mayence, Palatinat, Trier notamment) et acquise auprès de la Papauté, Albert II espère ruiner les avancées militaro-diplomatiques de son grand rival. Procédant de la même manière qu’Innocent IV dans la lutte du sacerdoce et de l’Empire, Urbain VI, prenant prétexte des troubles religieux et des critiques à l’encontre de l’Eglise qui éclatent en Bohème, excommunie Charles IV. L’action de da Frignano est prépondérante dans cette décision éminemment politique. Reprenant la même ligne directrice que Jean XXII dans sa lutte 50 ans plus tôt contre Louis Ier de Bavière, Urbain montre son soutien plein et entier à la candidature d’Albert II à la tête de l’Empire, sans toutefois, comme son prédécesseur, déclarer le souverain autrichien anti-roi.
Malheureusement pour Albert, Charles IV refuse jusqu’à la fin à renoncer à son pouvoir. Et les morts d’Urbain VI en 1381 et d’Albert en 1384 annulent tous les efforts menés au cours des cinq dernières années au sein de la Curie et de la Diète.
3) Un temps de prospérité
L’affirmation de pouvoir de la dynastie des Habsbourg s’est concrétisée également par le développement culturel du pays. Dans les années 1360-1370, de nombreux artistes italiens, en particulier florentins, sont invités à exercer à la cour de Vienne.
Agnolo Gaddi (1350-1396), Le Couronnement de la Vierge, vers 1380
Le mécénat est favorisé par l’expansion économique croissante du pays, liée notamment à l’acquisition d’une partie de la Dalmatie et au passage des marchandises de l’orient depuis Zadar plutôt que Venise. La conquête de la Styrie et de la Carinthie a également eu pour conséquence de faire profiter de la richesse des mines d’argent de ces comtés, dont les revenus sont entièrement versés au trésor. Entre 1356 et 1380, les réserves monétaires de la famille Habsbourg passent de 100 000 à près d’un millions de ducats.
Ces nouvelles richesses permettent alors d’engager une politique somptuaire à destination des voisins immédiats des Habsbourg. Les Furstenberg notamment sont invités à Vienne afin de rapprocher les deux maisons dans des liens d’amitié perpétuels (1er février 1382, visite officielle de Henri IV de Furstenberg).
Peu à peu voit se dégager la volonté de réunir tous les domaines Habsbourg en un vaste ensemble au sud de l’Empire. La discontinuité des terres d’Albert a longtemps été un frein à l’accroissement économique. En créant une véritable route parallèle à celle de l’Italie du Nord, l’Autriche tente de se placer hors de la dépendance vénitienne et génoise ayant longtemps pesé lourd sur les gains commerciaux de la couronne.
4) Situation en Europe : la guerre de Cent Ans
Les années 1350 à 1380 sont une période de bouleversement des équilibres en Europe Occidentale. L’Espagne est ravagée par les conflits internes. Profitant de la lutte entre les Trastamare et les d’Ivrée en Castille, ses voisins se livrent à une véritable curée dont les principaux bénéficiaires sont les Navarrais. Ces derniers récupèreront certains territoires historiques à l’ouest, élargissant ainsi leur emprise sur le pays Basque. Mais la guerre contre la France affaiblira un temps cette expansion.
Les Aragonais n’ayant aucune visée sur les territoires castillans se permettent juste d’affaiblir leur ennemi pour éviter sa mainmise sur les terres andalouses. Cette situation de crise dynastique et militaire dure environ un siècle, atteignant son paroxysme au XVe siècle avec l’écroulement complet de la couronne de Castille.
Plus au nord, le conflit entre l’Angleterre des Plantagenêt et des Valois se poursuit à l’avantage des seconds. Après la guerre menée par Jean II en Bretagne et en Guyenne, puis la guerre contre la Navarre, les possessions anglaises se retrouvent limitées à une fine bande de terre le long de la Garonne. Les navarrais perdent la quasi-totalité des acquisitions de Charles le Mauvais en Normandie. Mais en 1369, une révolte des nobles gascons entraine la perte d’une grosse partie de l’Aquitaine.
Ne pouvant accepter la domination anglaise dans le sud-ouest, Jean II [toujours roi à l’époque, jusqu’aux environs de 1380] décide de mener une guerre générale contre ses ennemis. La guerre est de nouveau déclarée le 7 janvier 1371, alors même que vient de débuter la guerre austro-hongroise. L’appui mutuel des deux alliés sera très faible dans ces deux conflits, limitant de fait l’envoi de troupes sur les différents théâtres.
Après plusieurs revers en Normandie, en Limousin et en Bretagne, Jean commence sa reconquête. L’élimination des armées d’Edouard III à la bataille de Poitiers en février 1372 ouvre la voie de l’ouest du pays aux troupes du roi de France.
« La bataille de Poitiers », Jean Froissart,
Chroniques
Le Limousin est reconquis en 1374, la Bretagne tombe en février 1375. La Guyenne au début de l’année 1376 est la dernière étape de la reconquête. Afin d’éviter de nouvelles révoltes, Jean laisse à la couronne d’Angleterre une longue bande côtière, de l’Aunis à la côte basque. La paix est finalement signée le 11 janvier 1376. En 1379, une incursion navarraise en pays de Caux relance les hostilités. L’Angleterre suit et s’engage dans une guerre perdue d’avance. Alors que la guerre fait rage au nord, la Castille reprend la marche à l’ouest de la Navarre. En quelques mois, le royaume pyrénéen est défait. Il est annexé à la couronne de Castille, la Normandie est rattachée au royaume de France. Le 7 mai 1383, l’Angleterre signe à son tour la paix, perdant l’Aunis. Le Comté de Savoie, allié à la Navarre, est amputé de la Bresse. La victoire française est quasiment totale au milieu de la décennie 1380.
En rouge, les conquêtes françaises entre 1373 et 1384.