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Nil-The-Frogg

Big fetid toad
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Aug 19, 2004
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Bien le bonjour! Je vous présente ici la traduction d'un AAR (EU2 en AGCEEP, je ne sais plus quelle version) que j'ai commencé en anglais il y a quelques mois de celà. J'envisageais de le faire depuis un moment, et c'est finalement ma copine qui a emporté le morceau en me tannant parce qu'elle en avait marre de lire en anglais.

J'espère que vous apprécierez, et comme je l'ai déjà signalé dans ma VO: j'adore répondre aux commentaires des lecteurs... :D

Je ne suis pas très inspiré, là, tout de suite, pour cette introduction, mais je me réserve le droit d'y revenir à tout moment. :cool:

 
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Réservé pour un usage ultérieur.
 
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§1

Serbie, Février 1419


Des coups sourds résonnèrent à la porte. Les deux joueurs d’échecs levèrent la tête et le plus vieux tonna:

«Alors, Léna, qu’attends-tu pour ouvrir? Que notre visiteur gèle sur pieds ? »

La soubrette se précipita, tenant sa robe roulée autour du poignet gauche pour ne pas trébucher. Elle poussa de côté la barre qui fermait la lourde porte du manoir. La lumière grise tombant du ciel plombé vint dissiper en partie la pénombre de la salle commune et un vent glacé accompagna l'homme emmitouflé de fourrures qui s’engouffra à l’intérieur. Léna s’empressa de refermer la porte tandis que le nouveau venu s’ébrouait pour faire tomber les flocons accrochés à ses sourcils et à sa barbe. Il se défit de son lourd manteau et de son couvre-chef fourré.

Les traits du vieux joueur d’échecs s’illuminèrent. La lumière rasante du feu creusait les ombres le long de la grande cicatrice qui lui barrait le visage de bas en haut. Cela donnait l'impression d'une fente, comme si la tête du vieil homme était entrebâillée. Le sourire n'en était pas moins amical et chaleureux.

«Et bien, si je m’attendais à recevoir la visite de notre pope bien aimé! Comment vas-tu?»

Il se mit en demeure de se lever, grimaçant lorsque son pied prit de goutte toucha le sol. Il se dressa néanmoins après s’être saisi de la béquille posée contre le linteau de la cheminée. Son robuste fils se garda bien de l’aider, mais resta à proximité, attentif. Le pope, un replet quadragénaire, s’avança vers lui:

«Ah, seigneur Gimnec, qu’avez-vous donc besoin de vous lever? Ce n'est pas comme si j'étais le Patriarche en personne! Je peux bien venir à vous.
- Par ma barbe! Dieu m’a donné des jambes pour que je marche! C’est bien assez que cette vieille carcasse ne veuille plus monter à cheval, répondit le vieillard en clopinant vers l’entrée, son fils sur les talons. Nous faisions une partie d’échecs avant de manger. Tu prendras bien un morceau avec nous?
- Je suis navré d'interrompre ainsi votre partie, mais ma foi oui, je partagerai volontiers votre repas.
- Bah, j'étais en train de perdre de toutes façons. Sans compter que nous allions devoir arrêter: Piotr doit aller faire le tour du domaine dans l’après-midi.
- Hélas, répondit le pope dont l’expression s’assombrit soudain, je crains que Piotr ne doive changer ses projets. »

L'intéressé éclata de rire:

«Vu la température, il n'y aura pas à trop me forcer pour que j'y renonce! Mais cela a intérêt à être vraiment important ou je vais sentir une certaine canne me tâter les reins. Alors, de quoi s'agit-il?»
- Installons nous près du feu, inutile que ton père reste debout comme ça.»

Le vieux baron jeta un regard noir au pope, mais n’objecta pas. Tous trois s’installèrent donc autour du vieil échiquier de bois patiné, tandis que Léna disparaissait en cuisine. Ils restèrent silencieux un moment, le pope réchauffant ses mains près de l’âtre, pensif. Il finit par s’expliquer, sans quitter les braises des yeux :

« J'ai fait le chemin depuis le village parce que j'ai de mauvaises nouvelles qui ne peuvent attendre que vous nous visitiez.
- En ce cas, je vous arrête tout de suite, mon Père! Interrompit Piotr, elles peuvent sûrement attendre que nous soyons restaurés, n'est-ce pas? Qu'y a t'il de plus triste qu'un repas à l'ambiance morose? »

Son père soupira et désigna leur lourde table:

« Il a peut-être raison. Léna va nous servir tout de suite, cela nous libérera plus tôt pour traiter des affaires déplaisantes. »

Ils gagnèrent les bancs de bois bruts qui entouraient la table et sur un ordre du baron, Léna leur servit prestement un bouillon de choux ou flottait un arrière goût de mouton. Après une courte prière, ils commencèrent à manger bruyamment.

« Comment va votre femme?
Très bien, répondit le pope, elle nous enterrera tous. Elle peste encore contre Krayna.
Pas possible, toujours à propos de ce broc renversé?
Piotr, tu es mesquin! C'était il y a des mois...
Et alors? Elle ne perd jamais une occasion de me resservir l'histoire de ce poulet que j'ai plumé pour m'amuser quand j'avais, quoi, six ans?
Oh, mais c'était un très gros poulet... Très goûteux d'ailleurs. »

Le pope feignit un grand chagrin et s'affaissa quelque peu sur son banc:

« Ah, tu dois avoir raison. Elle m'en veut encore de notre mariage, et cela remonte pourtant à une trentaine d'années... »

Piotr explosa de rire et avait encore le sourire aux lèvres quand il répondit:

« Vous savez, je pense vraiment qu'elle est très gentille, mais c'est comme si elle avait fondamentalement besoin de râler tout le temps pour souligner son autorité.
A qui le dis-tu? Elle cherche à compenser ce qu'elle considère comme du laxisme de ma part. Si je n'y veillais pas, elle se piquerait de dire les messes à ma place! Mais bon, je ne la changerais pas, hein?
Tu aurais plus vite fait de convertir tous les infidèles! Commenta le vieux baron avec un sourire espiègle. »

Cela causa un nouvel éclat de rire chez son fils, mais fit curieusement naître une expression contrariée sur le visage du pope. Ils continuèrent cependant à bavarder durant le reste du repas, jusqu'à ce que Léna leur apporte trois verres épais et un flacon d'alma. Les trois hommes regagnèrent leurs places auprès du feu et Gimnec finit par demander:

« Bon, qu'est-ce qui peut causer tant de raout que tu en viennes à traverser toute cette neige exprès ?
Le roi Stepan appelle ses chevaliers et vassaux aux armes.
Hein ? Le vieux Gimnec se pencha en avant, visiblement stupéfait. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? En plein hiver ?
Le printemps n’est plus si loin. En fait, ce sont les turcs qui nous ont déclaré la guerre et Stepan veut que ses troupes soient regroupées avant leur arrivée. Ils ont massé une grande armée en Bulgarie et menacent toute notre frontière Est, depuis le sud du Kosovo jusqu’à la Wallachie.
C’est arrivé quand ? S’enquit Piotr.
La nouvelle est parvenue en début de semaine à Novi Pazar et hier au village. J’ai pensé qu’il fallait que je vous prévienne.
Je suppose, dit Piotr, que je dois me rende à Novi Pazar sans délai.
Le temps de fourbir ton équipement, mon fils. La voix du baron n’était qu’un murmure, mais restait ferme. Il te faudra l’après-midi pour tout préparer, tu partiras plutôt demain. »

Il était livide, visiblement bouleversé. Il finit par ajouter, une légère nuance de colère dans la voix :

« Mais qu’est-ce qui lui a pris ?
Comment ? demanda un Piotr surpris et curieux.
L’année dernière, le roi des turcs…
Le Sultan, précisa le pope.
Oui, bien sûr, le sultan des turcs veut réunifier l’empire de son père démantelé par les mongols. Il a envoyé un message à Stepan, lui rappelant combien il était reconnaissant à la Serbie d’être restée le seul vassal fidèle de son père contre Timur-Lane au cours de la bataille d’Ankara. Et il demandait à renouer ces liens au sein d’une alliance, Stepan étant invité à reconnaître la grandeur et la suzeraineté du souverain turc. Et je ne comprends toujours pas quelle mouche l’a piqué quand il a répondu.
Mais, père, il ne pouvait pas accepter. Il a déjà donné son allégeance à l'Empereur.
Peut-être. Mais était-il obligé de répondre qu’il ne mangerait pas dans la même auge que les cochons ? »

Il y eut un moment de gêne, le pope cilla :

« Il est vrai qu’il a fait preuve d’un surprenant manque de… doigté.
Ou il a abusé de l’absinthe, renchérit le baron sur un ton sarcastique.
D’un autre côté père, il faut bien un jour combattre les turcs et repousser la menace qu’ils représentent pour la chrétienté.
Et bien, répondit le pope d’un ton circonspect, je ne sais pas ce qui menace le plus l’Eglise Universelle des turcs ou du schisme. La Hongrie est catholique et le Pape ne fait pas mystère de son souhait de faire passer le Patriarcat serbe sous son autorité…
Mais les Hongrois sont chrétiens, au moins, argumenta un Piotr surpris. Mieux vaut sans doute combattre les infidèles à leurs côtés, et régler nos différents avec le Pape.
Ce n’est pas si simple, mon fils, expliqua le pope. Paradoxalement, les turcs respectent d’avantage nos rites que les catholiques. Il hésita un instant et ajouta : et puis nous ne combattrons pas aux côtés des Hongrois.
Quoi ?
Comment ?
Notre suzerain Zigismund a refusé d’honorer notre alliance.
Le bâtard ! »

Le baron, furieux, tapa du pied par terre et la vague de douleur qui le terrassa le fit s’affaisser dans son fauteuil. Les deux autres tentèrent de le réconforter et de le calmer. Puis se rassirent.

« Mais pourquoi ? Demanda Piotr, je sais bien qu'il y a toujours en sous-main des manoeuvres politiques plus ou moins compliquées, mais je pensais vraiment que Zigismund était un homme d'honneur.
En fait, il est parfois un peu… instable, répondit le pope. Et puis sa guerre contre Venise se passe mal : il ne doit pas vouloir « gaspiller » des troupes pour nous aider.
Tu parles, grogna le baron, il nous hait, surtout.
C’est sans doute exagéré, suggéra le pope, mais c’est un fait qu’il serait plus réceptif à nos difficultés si nous reconnaissions l’autorité papale, et la dualité du Père et du Fils, bien sûr.
Alors, nous sommes seuls contre les turcs ? demanda Piotr.
Oh non, la Bohème et son suzerain, le Luxembourg ont accepté de nous soutenir, répondit le pope d’un ton désabusé.
Ah, grandiose! lâcha le baron, Grandiose! Nous voilà avec de merveilleux alliés qui devraient se frayer un chemin à travers toute la Hongrie pour les uns et la moitié de l’Europe pour les autres s'il voulaient nous envoyer ne serait-ce qu'un soldat. Je ne sais même pas où c’est exactement ce « Luxembourg ». De l’autre côté du Saint-Empire, si je ne m’abuse ?
Ils ne prenaient pas beaucoup de risques à honorer l’alliance, compléta tristement Piotr, je vois qu’en effet, l’heure est sombre. Mais j’irais défendre le royaume avec détermination ! »

Il s’attendait à des félicitations, mais ses deux aînés restèrent silencieux un moment, laissant les bruits des braises s’exprimer. Son père parla enfin :

« Jeune coq présomptueux. Tu ne sais pas ce qu’est la guerre.
Mais père, répondit Piotr, dérouté, je vais défendre le royaume et la chrétienté! Et aussi l'honneur de notre maison. Et, qui sait, peut-être aussi acquérir quelque gloire par les armes.
Bien sûr que tu vas y aller, il n’y a rien d’autre à faire d’ailleurs. Mais la gloire ? Laisse-la donc un peu tranquille ! Tu prends la chose à la légère mon fils. Que crois-tu ? Que la guerre est un jeu ? C’est une abomination ! Pour que Dieu aime la guerre, il lui faudrait aimer la puanteur de la charogne et des excréments ! »

Choqué, Piotr jeta un regard contrit au pope qui eu un sourire crispé, mais n’eut pas le temps de répondre avant que le baron n’enchaîne :

« Bah, c’est aussi bien que je dise ça devant toi, Gorny, ça m’évitera d’aller jusqu’à confesse. »

Et il désigna son pied emmitouflé. Le pope, un peu hésitant, hocha la tête et se tourna vers Piotr.

« Comment dire? Les propos de ton père sont répréhensibles, mais il a raison sur un point. La guerre n’est pas à prendre à la légère. J’ai vu bien des gens en revenir en triste état, ou ne pas en revenir. D’un autre côté tu as raison : c’est ton devoir sacré d’y aller.
- J’en suis d’accord, fit le baron, et je te déshériterai s’il te venait à l’idée de te défiler. Mais je veux que tu comprennes certaines choses. Et c’est en tant que vétéran que je vais te parler maintenant. Ils vont probablement t’affecter à la cavalerie légère. Surtout ne proteste pas, accepte même avec entrain. Oui, oui, je sais que tu es habile avec ton épée et que tu es un cavalier émérite, mais tu n’as ni l’entraînement, ni l’équipement, ni le destrier d’un chevalier. D’ailleurs méfie-toi de Colchique, c’est une bonne bête, mais la guerre ne ressemble guère à la chasse, tu ne sais pas comment elle va réagir. Autre chose : sois attentif à l’état de ton équipement, et de ta monture, toujours.
- Père… Commença Piotr, qui fut aussitôt coupé par un geste de son père.
- Oui, je sais que ça paraît évident. Mais la fatigue, l’agitation et la peur, oui, la peur, peuvent relâcher ton attention. Et les conséquences en seraient funestes. Autre chose : ne commet surtout pas l’erreur de sous-estimer les turcs. Ils savent fort bien ce que sont les chevaliers, ils en affrontent depuis des lustres. Je les ai combattus, et j’ai été à leurs côtés dans maintes batailles. Je les connais. Je les respecte. Alors crois moi : si d’aventure ils ne sont pas impressionnés par une charge, il vaut mieux considérer qu’ils ont de bonnes raisons pour ça. Et à propos de charge, ne t’avise pas de foncer tête baissée, hors d’une action coordonnée. Et évite autant que possible de suivre les têtes brûlées qui le font. C’est ce type de comportement puéril qui alimente le plus les fosses communes des champs de bataille. Ah, autre chose encore : si tu es éclaireur, méfie toi de la cavalerie légère ennemie. Ces turcs la tiennent des hordes mongoles, et je ne connais pas plus mortel. Des démons faits cavaliers ne seraient pas pires… Il suffirait que le Sultan le leur ordonne pour que tu les trouves dans la semaine chassant ces agneaux qui poussent sur les arbres d'Irlande.
- Voyons, Père, je comprends bien vos préoccupations, mais enfin, je ne peux guère aller à la guerre en évitant tout combat et tout danger... »

Le vieux baron contempla son fils, réfléchissant à ce qu’il allait ajouter, puis réalisant qu’il ne servait à rien de passer la journée en conseils, il avisa son fils d’aller préparer ses affaires, sans oublier une bonne quantité de vivres. Il le rappela cependant juste avant qu’il ne sorte :

« Piotr, bas toi comme un lion. Ton héritage est maigre, ajouta-t’il en embrassant du regard la salle commune chichement meublée, mais s’il te plaît, reviens en jouir… vivant.
- Bien sûr père, d’ailleurs comment feriez-vous pour avoir votre domaine en main sans moi ? »

Il fit un clin d'oeil et ajouta:

« Sans compter qu'il me reste à prendre votre roi. »

Le baron ne releva pas. Quand son fils fut parti, il poussa un soupir accablé et se tourna vers le pope :

« Mon Père, j’ai un mauvais pressentiment. Je crains que ces turcs ne soient bien décidés à faire parler d’eux bien au delà de notre misérable patelin enneigé… »


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Situation initiale:

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Sur quel pays, quelle niveau de difficulté ? ;)
 
Pepsi_max said:
Sur quel pays, quelle niveau de difficulté ? ;)
Il me semble que c'était "normal"/"normal".
 
Last edited:
C'est pas pour dire, mais...



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Last edited:
Byzance : Mars 1419

En ce matin là, d'innombrables fragrances florales embaumaient l'air de la Cité. Bien des maisons et des palais étaient pratiquement désertés depuis des décennies, mais les parcs et les jardins parsemaient toujours le quartier. Alexios avait ouvert son magasin depuis plusieurs heures déjà et savouré le temps passé à réchauffer ses os vieillissants dans la lumière dorée du soleil. Il n'aurait su dire ce qui rendait cette lumière si particulière dans la Cité, comme une allégorie de sa splendeur. Cela n'était peut être que dans son regard après tout. Aucune importance: il s'imaginait vraiment une douce pluie d'or. Or rien, bien sûr, ne saurait d'avantage combler un marchant.

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Et puis ces deux clientes sont arrivées. Il ne les connaissait que trop bien, mais c'étaient des habituées, des habituées fortunées. Non que son petit étal ait encore pesé pour beaucoup dans ses revenus, mais les affaires sont les affaires. D'autant qu'il gardait quelque affection pour ces quelques planches où sa fortune avait nourri ses premières racines. Il accueillait toujours tous ses clients avec une suave amabilité professionnelle.

Toutes deux avaient déjà acheté leurs épices et papoté depuis une bonne demi-heure lorsque arriva un jeune homme vêtu d'un habit noir, sobre bien que d'étoffe luxueuse. Elles ne le remarquèrent pas et il attendit patiemment derrière elles. La plus mince des deux, empoignant fermement son foulard de soie, sans doute de crainte qu'une brise inexistante ne l'emporte, roucoulait d'une voix profonde:

« Je vous le dis, ce sont de tels barbares que vous ne savez jamais ce qu'ils vont imaginer pour se montrer encore pires que ce que vous pensiez! »

Sa compagne enchaîna d'une voix stridente:

« Et même ce que nous savons est déjà bien assez ignoble!
- Ah ça oui! Réalisez-vous bien toutes les horreurs dont leurs femmes dépravées se rendent coupables à l'abri de leurs harems? »

Alexios haussa un sourcil noir et broussailleux:

« Ma foi, je suppose qu'il vaut mieux que je n'essaie pas d'imaginer.
- Ah ça c'est sûr! Vous au moins, vous êtes un homme décent, répondit la mince.
- Pas comme certains nobles, poursuivit la plus enrobée.
- Ces moins que rien s'inclinent tout de bon devant les Turcs!
- C'est insensé! Ils n'ont aucune décence!
- Avez vous entendu parler de cette Verina Opsaras? Mais si, voyons : la fille de l'exarque...
- Non, qu'est ce qu'elle a fait?
- Elle a été vue en train de danser, lascive comme une vipère, pour de jeunes hommes éméchés. Vous savez, exactement comme ils font avec leur horripilante musique, celle qui semble geindre sans cesse.
- Oh mon dieu! Quelle horreur! Ces moeurs dissolues nous perdront! »

Alexios se garda bien de s'immiscer dans la conversation, mais approuva vigoureusement de la tête.

« Et puis, murmura la plus mince, j'ai entendu dire qu'à Brousse, pour devenir un homme, un fils doit tuer son père. »

Le marchand était visiblement fort choqué par cette révélation:

« Non? C'est incroyable, ça alors...
- Si, vraiment! Ils le font. Et après ça, ils mettent leurs propres mères dans leurs harems. Vous vous rendez un peu compte de ça?
- En effet Madame, c'est proprement incroyable.
- Je ne vous le fais pas dire!
- Et, surenchérit la plus dodue, nous laissons ces sauvages traverser nos terres à leur guise!
- Ah, fit sa comparse, dites moi un peu à quoi ils ressemblent avec leur armée ridicule! Ils ressemblent à des négociants en étoffes, voilà tout. Des colporteurs avec des canifs aux côtés!
- Tout ce que j'ai à dire, reprit l'autre, c'est que la légion devrait leur donner une bonne leçon! »

Alexios s'employa soigneusement à ne surtout rien dire, mais manifesta sa totale approbation par ses mimiques.

« Ah, reprit rêveusement la plus enrobée, je ne manque jamais un défilé de la légion! Voilà de vrais soldats, disciplinés, grands, beaux, forts, tout resplendissants dans leurs cuirasses dorées...
- C'est sûr. On ne cesse de nous dire que ces barbares sont trop nombreux, mais qu'est-ce que la quantité sans la qualité? Je vous le demande.
- Ah, bien sûr, confirma Alexios pour ne pas trop paraître en reste, la qualité, c'est l'essentiel. J'en fait du reste un point d'honneur.
- Oh, et puis nous pouvons tout à fait payer des mercenaires s'il le faut.
- Pas ces puants Normands tout velus, bien sûr, précisa la plus mince en regardant subrepticement autour d'elle, des fois qu'un de ces Normands eût rôdé dans la rue. Non, des mercenaires Italiens!
- Ah oui, des Italiens! S'extasia sa compagne, eux botteraient les fesses des Mahométans! »

Elles continuèrent à bavarder encore quelque temps, cancanant à propos de politique intérieure, des ragots de la haute société, du manque d'éducation de la jeunesse et d'un vaste panel d'autres sujets. Mais les Turcs étaient sans conteste leur thème favori. Elles se décidèrent enfin à partir, peut être parce qu'elles avaient fini par se se résoudre à remarquer le client qui attendait, mais plus probablement par lassitude. Le jeune homme s'avança tranquillement à leur place. Il avait un visage très régulier, à l'exception du nez légèrement tordu. Il était impeccablement rasé et ses cheveux d'un noir de geais étaient soigneusement coiffés. Ce n'était pas exactement un dandy, mais il faisait manifestement attention à son apparence. Il s'adressa à Alexios d'un ton neutre, visiblement peu exaspéré d'avoir du patienter si longtemps:

« Cher Monsieur, vous devriez sans doute vendre des conneries.
- Certainement Monsieur, pourquoi donc?
- Parce que ces deux pies pourraient vous en fournir en quantités illimitées.
- Sans nul doute.
- Je ne pense pas avoir déjà eu l'occasion d'entendre une telle densité de sornettes durer si longtemps.
- Certainement pas Monsieur. Je mets un point d'honneur à toujours trouver les meilleurs fournisseurs qui soient, pour quelque denrée que ce soit.
- Vraiment? Vous êtes donc sûrement le négociant incontournable avec lequel traiter toutes sortes d'affaires.
- Je le suis. »

Alexios finit par rire.

« Mais dis-moi mon cher Maro, as-tu fait bon voyage?
- En effet. Mais s'il te plaît, Alexios, je voudrais bien savoir ce que tu gagnes à supporter ces deux cas? En ce qui me concerne, je leur facturerais dix pour cent de supplément.
- Dix pour cent? »

Alexios paraissait vraiment outré.

« Heu, et bien cela ne me paraîtrait pas trop cher payé pour une telle épreuve...
- Bon sang, je ne prendrais pas moins de quinze à vingt pour cent pour la peine!
- Ah bon, cela semble effectivement raisonnable. Dis-moi, j'espère qu'elles viennent aux heures de pointe?
- Non, Dieu merci! Mais je présume que tu as un beau récit tout parfumé d'or à me conter, hein? Je vais demander à Isidore de tenir la boutique pendant que nous bavardons. Ses autres tâches peuvent bien attendre. »

Maro haussa les épaules et attendit. Alexios revînt vite et le précéda dans un petit jardin fleuri à l'arrière du magasin. Un plateau d'argent couvert de pâtisseries au miel les attendait sur une délicate table basse en osier. Ils s'assirent et commencèrent à grignoter en bavardant.

« Alors, les Turcs t'ont-ils vendu toutes ces merveilleuses épices? J'en ai besoin pour pouvoir les vendre avec ces fameux vingt pour cent de bonus, sais-tu?
- Oui, ils l'ont fait.
- Merveilleux.
- Les choses ne se sont pas passées aussi aisément qu'à l'habitude cependant.
- Des ennuis?
- En quelque sorte.
- Rien de grave?
- J'y ai manifestement survécu. »

Un léger mais franc sourire confirma qu'il n'avait même pas été fort inquiété.

« Ça bouge dans l'empire d'Osman. Il y avait un petit quelque chose dans l'air. Je ne saurais dire quoi, mais ça m'a rendu nerveux. Disons que l'ambiance du port était... différente de mes précédentes visites. Du coup, j'ai décidé de reporter le déchargement de la marchandise jusqu'à ce que j'aie pu m'entretenir avec Ilhami.
- Ilhami?
- Oh, elle possède une boulangerie.
- Bon, je suppose que ma question suivante doit être : et alors?
- Disons qu'elle traite également toutes sortes d'autres affaires, et qu'en outre son Grec est bien meilleur que mon Turc, ce qui peut être fort utile à l'occasion. Une femme démoniaque, à vrai dire. Je me sens toujours en terrain glissant lorsque je négocie avec elle.
- Mmh, je ne te demanderai pas comment tu l'as rencontrée.
- Merci. Il y avait beaucoup de clients quand je suis arrivé, ce qui n'était guère propice à une conversation confidentielle, même en Grec.
- Surtout en Grec, je présume.
- C'est possible, c'est pourquoi je me suis contenté de lui demander quels potins pourraient intéresser un honnête marchand étranger. Elle me révéla alors avoir entendu que Koça Mest avait reçu une promotion.
- Koça mest, Koça Mest... N'est-ce pas cet officier portuaire dont tu m'as parlé?
- Lui-même. Un brave homme. Corrompu jusqu'à l'os. Le pauvre souffre d'une inextinguible soif d'or. Il était toujours disposé à discuter avec nous autres, pauvres négociants, d'un montant plus convenable pour nos taxes.
- Pas le genre à demander une promotion à mon avis.
- Précisément pas.
- Qu'a-t'elle ajouté?
- Rien. »

Alexios inclina la tête, un léger sourire déformant la commissure de ses lèvres.

« Bon, disons que je vais gober ça. Et après?
- Heu... Et bien je me suis tout bonnement rendu au bureau des affaires maritimes et j'y ai déclaré notre cargaison. Je ne connaissait pas l'employé, mais il m'a demandé si je souhaitais suivre la procédure habituelle.
- Hou là! Ça, ça sent mauvais.
- Je lui ai répondu que oui, bien sûr, et qu'en vertu des taux en vigueur, j'avais à régler un peu plus de cent-vingt ducats. Il a paru surpris, mais n'a émis aucun commentaire. J'ai tout payé rubis sur l'ongle, depuis les taxes portuaires jusqu'aux taxes d'accès aux marché.
- Ouille!
- Oui, ça nous a rogné près de vingt-deux pour cent des profits attendus.
- Peu importe, je pense que tu as bien fait.
- Et moi je sais que j'ai bien fait. Héraclonas est arrivé juste le lendemain et s'est engouffré dans la « procédure habituelle ». Il a été arrêté quelques heures plus tard. Il semblerait que le pouvoir à Brousse ait décidé de faire le ménage dans les affaires des ports et d'exercer un contrôle un peu plus serré, particulièrement sur l'argent. Je ne m'inquiète pas trop pour Héraclonas cependant. Je parie que ce vieux forban aura vite fait d'acheter sa liberté. Mais quoi qu'il en soit, il aura sûrement plus de mal à récupérer sa marchandise, sans compter que ses affaires ultérieures vont s'avérer un brin plus délicates à mener.
- Ah, c'est bien triste, bien triste... Mais ne pleurons pas trop.
- Tu n'as pas de coeur mon cher Alexios.
- Autre chose qui présente un intérêt?
- Peut-être. Ils sont en guerre. De pleins bateaux de ravitaillement étaient sur le départ dans la rade. Il y avait aussi des galères transportant des renforts.
- Oui, nous avons eu vent de leurs opérations en Serbie. Non que ce soit bien surprenant. Ils ont passé un an à construire de petits fortins de Salonique jusqu'à la frontière Wallache, les remplissant de grain, de foin, de tonneaux d'eau... Ils se sont même attelés à la réfection des routes! Ça n'a jamais été aussi confortable de voyager dans la région. Ce qui ne veut pas forcément dire grand-chose, vu à quel point c'était affreux.
- Ce peut être une formidable opportunité.
- Oh, j'ai examiné ça, tu penses bien. J'ai conclu quelques affaires, gagné un peu d'argent. Mais pas tant que ça finalement. Ils sont tellement maniaques au sujet de leur logistique que tout doit être sous leur contrôle direct, sans quoi ils deviennent nerveux. Et je n'aime pas trop négocier avec des gens nerveux, surtout des généraux, si tu vois ce que je veux dire.
- Absolument. »

Alexios dégusta une autre pâtisserie.

« Et s'agissant de nos petites affaires, quel est le bilan?
- Nous nous retrouvons avec à peu près les six cent ducats de profits espérés.
- Une minute, ne m'as-tu pas dit tout-à l'heure que les impôts nous en avaient mangé vingt pour cent?
- Oh, voyons, mon cher Alexios... »

Le ton était badin, mais il y avait comme une trace de quelque chose d'autre dans les inflexions. Quelque chose qui fit résonner une alarme dans l'esprit d'Alexios. Bien entendu, seule la bonhomie filtra sur son visage lorsqu'il répondit:

« Ah, ce fut un bon tour de main, Maro, tu acquiers de bon réflexes commerciaux. »

Maro sourit humblement, esquissant des mains un geste qui pouvait aussi bien signifier « évidemment » que « merci ». Et peut-être les deux.

« Je suis épuisé cependant. Si tu me permets d'aller prendre quelque repos? »

Le sourire d'Alexios s'élargit et il tapota paternellement l'épaule de Maro:

« Bien sûr, bien sûr... Tu l'as bien gagné, n'est-ce pas? Tu peux avoir toute la semaine et en profiter pour t'amuser un peu, pourquoi pas? »

Ce n'est que tard dans la soirée qu'il comprit enfin ce qui aurait dû lui sembler évident. Il se faisait vieux. Pas étonnant que Maro ait tenté de le tester ainsi. Il y aurait d'ailleurs réussi sans cette prompte réponse passe-partout. Ce petit fourbe sentait probablement qu'il mettrait plus tôt que tard la main sur l'affaire de son aîné. Alexios sourit. Cela lui fournirait une merveilleuse occasion de prendre sa retraite et de passer quelques paisibles années dans sa villa Crétoise.
 
Last edited:
Note de traduction:

Cher Monsieur, vous devriez sans doute vendre de la bêtise.

Je n'ai malheureusement rien trouvé de mieux que "bêtise" pour traduire "crap", qui présente l'avantage de désigner à la fois le merdier (matériel) et les imbécilités (dans le discours, donc). Si quelqu'un a une meilleure idée, je suis preneur. :)
 
Si je puis me permettre ça manque un peu d'images. :eek:o

Sans tomber dans la zalderitude, quelques illustrations (screens ou images diverses) ne feraient pas de mal. ;)
 
Last edited:
Nil-The-Frogg said:
Note de traduction:



Je n'ai malheureusement rien trouvé de mieux que "bêtise" pour traduire "crap", qui présente l'avantage de désigner à la fois le merdier (matériel) et les imbécilités (dans le discours, donc). Si quelqu'un a une meilleure idée, je suis preneur. :)

"Connerie(s)" c'est très bien pour traduire crap
 
Imrryran said:
Si je puis me permettre ça manque un peu d'images. :eek:o

Sans tomber dans la zalderitude, quelques illustrations (screens ou images diverses) ne feraient pas de mal. ;)
Le prochain chapitre en contient. :) Mais c'est vrai que je n'en n'utilise pas beaucoup (et semble-til pas assez). A mes crayons !
joconde.gif
(c'est à dire quand mon boulot m'en laissera le temps :( )


forezjohn said:
"Connerie(s)" c'est très bien pour traduire crap
C'est vrai que c'est mieux. Je n'ai pas l'impression que cela rende la dualité du sens, cependant. Allez, j'édite.
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Nil-The-Frogg said:
Le prochain chapitre en contient. :) Mais c'est vrai que je n'en n'utilise pas beaucoup (et semble-til pas assez). A mes crayons !
joconde.gif
(c'est à dire quand mon boulot m'en laissera le temps :( )
Il n'y a pas besoin de grand-chose. Quelques images simplement trouvées sur google aident bien pour donner de l'ambiance, un screen de carte politique directement issu du jeu est fort pratique pour repérer l'avancement de la partie. ;)
 
Nil-The-Frogg said:
C'est vrai que c'est mieux. Je n'ai pas l'impression que cela rende la dualité du sens, cependant. Allez, j'édite.

la dualité complètement non mais pas mal quand meme, et puis bon c'est comme traduire un jeu de mot ou une ambiguité de langue, faut pas espérer le faire complètement.
 
Est-ce que c'est mieux ? (Bon, certes, mes crayons n'y sont pour rien...)
 
§ 3

Jeudi, North Lake Shore Drive




Le tacot noir remontait paresseusement North Lake Shore Drive. Non que Matt fût incapable de conduire plus vite, mais Hitchgins ne se sentait jamais très à son aise dans ces tas de ferraille, surtout les jours de pluie. Matt se demanda si son sergent était jamais monté à cheval... Imaginer la scène le fit pouffer. Son passager, qui mâchonnait un informe mégot, depuis longtemps éteint, ne lui jeta même pas un coup d'oeil.

« Et ben gamin, ça fait plaiz d'voir qu't'es d'bon poil, hmm? Doit êt' la pluie. »

Matt ne jugea pas utile de s'étendre sur le sujet.

« Heu, je me demande bien pourquoi on nous confie cette mission. Pourquoi pas des inspecteurs en civil? Ce serait plus dans leurs cordes, non? »

Le passager essuya la condensation sur sa vitre.

« Barf! T'jours mieux que d'traîner... Heu, j'veux dire patrouiller dans les rues. Pas un temps à foutre des poulets dehors que j'dis.
- Et bien je suppose que vous avez raison.
- Ah, c'est pas leur 'blème, c'est sûr. Ah non, y nous simplifieraient pas la vie. Hé, ralentis gamin, ralentis.
- Ne vous inquiétez pas, je garde la bête sous contrôle.
- Possible, mais j'voudrais ben r'garder les numéros des baraques. M'semble qu'on y est presque. C'est quoi s'numéro là?
- Heu... Le 355.
- C'est la suivante. Gare-toi su'le bas côté. Ce s'rait encore une foutue discussion pour qu'y nous laissent entrer la caisse dans l'jardin. Plus c'est riche, plus c'est casse-bonbons. »


Ladite maison, sise dans un jardin de dimension respectable, était une grande bâtisse de construction récente. De petits arbres bordaient une allée de graviers s'élargissant pour donner accès au perron et aux garages. La maison elle-même comptait deux étages. Deux escaliers conduisaient à la porte principale, environ un mètre et demi au dessus du sol. Il s'agissait probablement d'une tentative pour préserver les parties habitées de l'humidité. Il y avait de grandes fenêtres masquées d'épais rideaux rouges.

Les policiers garèrent leur véhicule sur une étroite bande d'herbe et traversèrent la route pour gagner la lourde grille de fer forgé. Matt dût jouer à l'équilibriste le long du mur pour contourner une grosse flaque boueuse afin d'atteindre le bouton de la sonnette. Un homme solidement charpenté se présenta une poignée de secondes plus tard. Il portait un costume blanc et s'abritait sous un parapluie. Il étudia les deux policiers des pieds à la tête à travers la grille mais ne se donna pas la peine d'ouvrir. Sa moustache se plissa en une moue dédaigneuse.

« Que voulez-vous?
- Sommes là pour ton voir boss, expliqua Hitchgins.
- Sans blagues? et qu'est ce que vous lui voulez?
- On a des infos que m'sieur Kallistos voudra p'têt ben nous ach'ter. »

L'homme hésita un instant, les jaugeant. Le plus jeune paraissait perdu, mal à l'aise et sans doute un peu honteux. Quant au sergent... un petit côté porcin en faisait l'archétype du vieux ripou bedonnant. Ces gars là étaient sans doute capables de vendre n'importe quoi. Que cela aie quelque valeur restait peu probable cependant.

« C'est bon, attendez là. Je vais informer Monsieur Kallistos de votre présence.
- Ouais, juste c'qui faut pour qu'on soit trempés comme des serpillières, hein ?
- Vous êtes les vendeurs, non ? Le client est roi. »

L'homme sourit comme à une bonne plaisanterie et s'en retourna. Ils attendirent sous la pluie fine et glacée.

« Pas très accueillant, commenta Matt.
- Bah, qu'est-ce t'éspérais? Il aime pas les flics, surtout les pourris qui réclament du pognon.
- Et vous pensez que cette astuce va marcher ?
- Hof, soupira Hitchgins, si ça marche pas on file, on fait not' rapport et c'est réglé. »

L'homme revint quelques minutes plus tard. Il ouvrit le portail sans préambule et les conduisit jusqu'à la maison.

« Je vous préviens, vous avez intérêt à vous tenir tranquilles ici, ou vous allez déguster. C'est clair ?
- Limpide. »

Ils essuyèrent soigneusement leurs semelles, passèrent dans le couloir d'entrée puis dans un vaste salon. Parquet ciré, meubles de bois poli, porcelaine : tout était luxueux et douillet mais ne constituait guère l'ameublement grec auquel ils s'attendaient. Non qu'ils eussent eu la moindre idée de ce à quoi était sensé ressembler un intérieur grec... Un gramophone jouait un air exotique entraînant, chargé de cordes et de percussions rappelant des tambourins. Matt songea un peu distraitement que cela, en revanche, pouvait bien être grec. Leur guide demeura avec eux.

« Monsieur Kallistos sera à vous dans une minute. »

Ils attendirent, dégouttant sur l'épais tapis. Quelques minutes plus tard vint un autre gorille dans un autre costume trois pièces. Celui-ci avait d'énormes favoris noirs qui lui donnaient effectivement un drôle de petit air simiesque mais ne le rendaient guère plus sympathique.

« Monsieur Kallistos vous attend. Mais nous allons devoir vous délester de vos armes. »

Le sergent Hitchgins haussa les épaules et lui tendit son pistolet. Matt eut une brève hésitation mais obtempéra à contre-coeur.

« Suivez-moi, s'il vous plaît. »


Le ton, bien que sec et officiel, ne dissimulait pas une pointe de mépris. Ils passèrent à l'étage. Les couloirs étaient garnis de tapis au sol et d'épais papiers peints aux murs. Leur guide frappa délicatement à une porte de chêne polie. Une réponse irritée se fit entendre et l'homme ouvrit. Ils pénétrèrent dans une pièce surchargée de bibelots et de curiosités. C'était à mi-chemin entre un musée et le bureau du médecin généraliste moyen. D'étranges couronnes exposées dans une vitrine attirèrent particulièrement le regard de Matt. Un énorme bureau trônait au milieu de la pièce, fort propre, il n'était occupé que par une lampe dorée et un porte-plume.

Un homme était en train d'ouvrir une grande fenêtre. Il devait avoir la cinquantaine, mais portait encore une épaisse toison noire. Il arborait un costume blanc rayé de noir absolument immaculé et parfaitement coupé pour son corps empâté. Matt se dit qu'il était aussi distingué et insipide que n'importe quel banquier, à l'exception d'un pendentif doré brillant sur sa poitrine.


Leur hôte regagna son bureau, s'y installa sans leur proposer d'en faire autant et les toisa, sourcil froncé.

« Écoutez messieurs, je suis fort occupé. J'espère que vous valez le temps que je vous consacre.
- Oh, j'suppose que nous l'valons, oui. »

Monsieur Kallistos eut un sourire moqueur :

« Fort heureusement, il me suffira que l'information dont vous avez parlé le vaille. »

Hitchgins ne releva pas le sarcasme.

« Bien sûr m'sieur Kallistos, mais j'prendrai pas l'rique d'vider mon sac d'vant témoin... »

Kallistos examina plus attentivement ses visiteurs. Tous deux étaient en uniforme ; celui du sergent aurait probablement apprécié un coup de fer à repasser. Le plus jeune paraissait nerveux. Il ne cessait de se balancer d'un pied sur l'autre, de déglutir de façon bien visible grâce à sa pomme d'Adam proéminente. Ses yeux exploraient les lieux comme des papillons affolés. Le sergent, en revanche, présentait toute l'inertie et l'espèce de léthargie caractéristique des hommes désenchantés qui se délestent d'autant d'illusions qu'ils accumulent d'années. Son ventre bedonnant, sa tenue débraillée, ses cheveux en bataille, une moustache ébouriffée partiellement roussie et une attitude généralement négligée venaient renforcer l'impression. Par ailleurs, les cernes gonflées qui soulignaient ses yeux jaunis évoquaient d'innombrables heures passées à taper des rapports en trois exemplaires que nul ne lirait jamais. Exactement le genre de type prêt à tout pour mettre ce qu'il pourrait de côté avant que l'heure d'une misérable retraite ne sonne.

« C'est bon, Démetrios, laisse-nous. »

L'homme de main s'éclipsa, refermant discrètement la porte.

« Très bien. Et à présent, donnez-moi quelques indices me permettant d'évaluer ce que je suis prêt à payer pour votre information. Voire même pour que je sache s'il convient simplement de vous jeter dehors à coup de pied aux fesses. »

Hitchgins soupira.

« Bah, c'est ben triste, mais nos services sont gratis.
- Gratuits ? Je crains de ne pas bien saisir où vous voulez en venir.
- On doit vous r'mettre un rencard.
- Allons bon. Et qui diable enverrait deux flics pouilleux me remettre une invitation ? »

Hitchgins haussa les épaules et répondit laconiquement:

« Le Juge Peter. »

Kallistos se raidit sur sa chaise.

« Où ? Quand ?
- Cozy Cat Club, demain, vingt heures.
- Autre chose ?
- Nan.
- Je ne comprends toujours pas pourquoi vous deux...
- Bof, on fait not'taf, et ça suppose pas de d'mander pourquoi on l'fait. Vous lui d'mand'rez vous-même si ça vous intéresse tant.
- Bien, merci Messieurs et maintenant du balais. »
 
§4




Tour de l'Administration Judiciaire Centrale


Matt les reconduisit en ville et gara la voiture aux abords du commissariat de LaSalle. La pluie avait forci et s'était encore refroidie. Hitchgins remonta le col de son pardessus en grommelant. Matt n'appréciait pas d'avantage ce temps de chien, mais fit de son mieux pour n'en rien laisser paraître. Il pensait encore qu'un policier se devait d'être un exemple de zèle et d'abnégation. Ils fendirent la foule qui inondait les trottoirs en jouant des coudes.

Soudain, Matt aperçut du coin de l'oeil un gamin nu-pieds en train de subtiliser le portefeuille d'un homme distingué. Il allait s'élancer pour l'arrêter lorsqu'il sentit une pression sur son avant-bras : Hitchgins aussi avait remarqué la scène.

« Du calme, gamin.
- Hé, mais c'est un vol !
- Ouais, ouais, ouais, c'est un vol. Ch'uis pas aveugle. J'sais qu'tu crèves d'envie d'chopper l'môme, mais on a des trucs plus urgents su'le feu qu'tes p'tits jeux du gendarme et du voleur.
- Comme ?
- Dégotter un p'tit coin chaud et sec où on pourrait s'boire un caoua. Oh, et on doit faire not'rapport aussi, accessoirement. En plus, honnêtement, le môme avait plus besoin de thunes que l'gars, non ? »

Matt leva les yeux au ciel et lâcha un soupir d'exaspération, mais ne dit rien. De toutes façons, le jeune voleur avait eu le temps de disparaître.

Ils gagnèrent l'arrêt de trolleybus le plus proche et trouvèrent miraculeusement une place dans la première rame qui passa. Bien sûr le miracle était en grande part le fait de leurs uniformes : une petite bande d'adolescents pouilleux s'enfuit précipitamment à leur approche. Sans doute avaient ils oublié d'acheter un ticket. L'engin brinquebalant, saturé de relents de sueur et d'humidité renfermée, les amena dans un bruit de casseroles jusqu'à la partie ouest de Grand Avenue. Ils descendirent en face d'un colossal gratte-ciel hérissé de forêts de statues et de clochetons. C'était à la fois le tribunal et le centre administratif des affaires judiciaires. Une gigantesque armée de gratte-papier était à l'oeuvre en ses murs, notant, triant, copiant, résumant tout ce qui pouvait se noter, trier, copier et résumer à longueur de jours et de nuits.




Matt et Hitchgins pénétrèrent dans le grand hall. Il s'agissait d'une vaste pièce de plus de cinq mètres de hauteur. De petites portes menaient à divers services et guichets tout autour de la salle. De studieux employés en complets noirs allaient et venaient sans cesse, un peu comme les habitants d'une fourmilière. Quelques citoyens paraissaient franchement perdus dans ce labyrinthe administratif. Ils auraient pourtant bien dû savoir que le formulaire vert TY568 leur aurait donné accès au bureau RJ42-c, 42ème étage, où un employé leur aurait obligeamment fournit le reçu bleu OJ14 revisé d'après le décret 114-8. Le dit reçu leur aurait permis de redescendre à l'accueil pour demander des renseignements. Mais hélas, ils n'étaient même pas au courant de ces démarches élémentaires...

Le sol de marbre rose contrastait délicatement avec le vert profond des nombreuses plantes en pot qui ornaient les lieux. De confortables fauteuils et des bancs se tenaient prêts à accueillir d'éventuels visiteurs dépressifs. Hitchgins, précédant Matt, alla directement vers la rangée d'ascenseurs au fond, passant devant les guichets de l'accueil sans même y jeter un coup d'oeil. Ils s'engouffrèrent dans le premier disponible et Hitchgins pressa le bouton pour le 67ème étage.

Matt était perdu dans ses pensées mais finit par en trouver la sortie aux alentours du 28ème étage :

« Je me demande bien pourquoi cette administration est si énorme...
- Bah, la justice est une sacrée affaire tu sais.
- Mais il doit y avoir des milliers de personnes qui travaillent ici !
- Faut bien ça avec tout les truands qui traînent dehors.
- Peut-être. Mais on n'est pas assez de policiers pour remplir le dixième des dossiers sur lesquels ils travaillent. Comment font-ils ?
- J'suppose qu'y z'ont une procédure pour les remplir tout seuls, répondit Hitchgins en haussant les épaules. »

Ils attendirent en silence que la cabine capitonnée de rouge les aient amenés en haut de l'immeuble. Une cloche sonna à leur arrivée et Matt ouvrit la grille et la lourde porte de l'ascenseur. Ils entrèrent dans une petite pièce spartiate donnant sur une porte blindée. Il y avait là une armoire métallique, un bureau métallique et un flic au regard métallique derrière le bureau métallique.

« B'jour, commença Hitchgins, y m'semble qu'nous sommes attendus. Sergent Hitchgins et agent Bredin. »

Le garde examina son registre puis les regarda.

« C'est bon. Confiez-moi vos armes et vous pourrez y aller. »

Hitchgins rit:

« J'commence à m'demander pourquoi on s'les trimbale... Tenez. »

Les revolvers furent enfermés à double tour dans l'armoire et le garde frappa à la porte blindée. Un petit vasistas s'ouvrit lançant une paire d'yeux gris les scruter. De lourds loquets furent tirés et la porte s'ouvrit enfin.

Matt et Hitchgins passèrent dans une grande salle octogonale éclairée par de hauts vitraux colorés qui donnaient au lieu une sombre ambiance gothique. Une large colonne de pierre dominait la pièce en son centre. Elle était entourée d'une poignée de bureaux de bois baignant dans leurs îlots jaunes de lumière électrique. Un passage en ogive laissait apparaître le bas d'un escalier dans la colonne centrale.

Ignorant le garde qui venait de leur ouvrir, Hitchgins se dirigea directement vers le bureau le plus proche et s'adressa à la secrétaire sévère qui se tenait derrière.

« Bonjour Madame. Monsieur le Juge Peter nous attend. Voulez-vous bien avoir l'amabilité de l'informer de notre arrivée? »

Elle le toisa à travers ses larges lunettes. Son visage lisse était figé en une expression froide et défiante.

« Bien sûr Monsieur Hitchgins. Je vous en prie, installez-vous sur ce banc.
- Vous avez toute ma gratitude. »

Elle saisit son téléphone et eût une brève conversation.

« Il vous attendait plus tard et se trouve actuellement en réunion.
- Très bien. Pas d'inquiétude. Nous attendrons tranquillement qu'il ait fini.
- Inutile. Il a dit qu'il vous recevait quand même. Je suppose que vous connaissez le chemin... »

Matt ne put s'empêcher de scruter subrepticement Hitchgins tandis qu'ils gravissaient les escaliers. Ce dernier sourit :

« Haroumpf! Y'a intérêt à être poli avec Betty : elle est jolie et tout, mais un vache de caractère à t'changer Attila en niard pleurnicheur. »

Une lourde porte cloutée barrait l'accès au sommet de l'escalier, mais elle était entre-ouverte et une voix sèche et nette les invita à entrer. Ils s'avancèrent dans une autre salle octogonale, plus petite, avec des vitraux un peu plus transparents permettant de distinguer les formes des immeubles environnants. Les lieux étaient volumineux, froids et peu meublés, l'ensemble suggérant un ascétisme studieux. Deux hommes discutaient près d'une fenêtre. Le premier avait la soixantaine bien passée, chauve et sec comme un biscuit militaire. Il avait de petites lunettes rondes cerclées d'acier, portait un pardessus anthracite et des gants de cuir noir. Le second dépassait allègrement les deux mètres et son uniforme était tendu sous la pression de sa carrure de tank. Matt reconnut immédiatement le commissaire divisionnaire et se donna une contenance.

« Bien le bonjour Monsieur Hitchgins, lâcha le Juge d'un ton pas exactement cordial, et Monsieur Bredin, je suppose ?
- C'est cela, votre honneur, répondit ce dernier.
- Je m'entretenais avec Monsieur Michaels, mais je me suis dit que votre rapport pourrait aussi bien l'intéresser. Alors Monsieur Hitchgins ?
- Il va venir. A moins qu'il n'ait un accident avant, bien sûr. »

Michaels fronça les sourcils mais ne dit rien. Le Juge, quant-à lui continua à regarder Hitchgins avec l'expression inaltérable d'un inquisiteur. Cela évoqua à Matt un impitoyable professeur.

« Votre évaluation de la situation ?
- J'dirai que Kallistos a qué qu'chose derrière la tête. L'a de sérieux soucis avec le gang du Kamilet et soit il essaie d'arrondir les angles avec eux, soit y cherche à s'allier avec des p'tites bandes pour doubler ses patrons et redev'nir indépendant. J'parierai plutôt sur la deuxième possibilité, sans garantie.
- Autre chose ?
- P'têt. C'est clair qu'y vous en veut toujours aussi grave, mais y va garder un profil bas pour l'instant. Il a la trouille et l'est tellement nerveux qu'c'est pas gagné qu'y soit capable d'agir assez intelligemment pour s'en sortir. Juste mes suppositions comme ça, hein... »

Le Juge Peter jeta un coup d'oeil à Michaels qui hocha la tête, puis il se retourna vers Hitchgins.

« Cela fera l'affaire, merci. »

Hitchgins ne bougea pas. Matt était nerveux mais resta aussi.

Michaels eut finalement un sourire discret et lâcha :

« Rompez. »
 
§4bis




Jeudi, commissariat de LaSalle


Ils traversèrent le commissariat d’un pas vif, Hitchgins se forçant tout juste à grogner un bref salut en croisant le commissaire dans le couloir. Matt essaya de glisser au passage un pauvre sourire suppliant, mais il fut à peu près ignoré. Hitchgins l’avait pourtant mis en garde le jour même où il lui avait été assigné comme second :

« Ecoute, gamin, t’es pas verni d’êt’ avec moi. Le p’tit enfoiré sappé comme un as de pique qui commande c’te turne décatie me hait. Ma carrière est aux orties d’puis des lustres, alors j’ai plus la patience ni la faux-cult’rie d’faire semblant d’quoi qu’ce soit avec ce cancrelat. Alors bon, si t’veux une promo, t’as sacrément intérêt à te trouver un aut’ commissariat où à poireauter jusqu’à s'que ce cul serré aille s’asseoir sur un aut’fauteuil, de préférence loin d’ici. Mais ça va prendre un bail. »

Après deux mois, Matt était effectivement devenu à peu près invisible aux yeux de sa hiérarchie, pour qui il n’était au fond que la bleusaille du sergent Hitchgins. Il n’avait ni l’expérience ni le tempérament qui lui auraient permis d’y changer quoi que ce fût. Hitchgins ouvrit d’un coup de pied tranquille la porte du placard qui lui tenait lieu de bureau. Même une si petite pièce ne lui avait été laissée que parce que le juge Peter trouvait encore le vieil agent utile. Et personne ne se serait risqué à vexer le juge. Le coup de pied d’Hitchgins n’avait rien à voir avec la colère ou l’excitation mais était simplement nécessaire pour repousser la masse de papiers qui bloquaient l’ouverture. Matt lui avait bien suggéré de nettoyer et ranger tout ce désordre, mais s’était entendu répondre que tout était fort bien agencé aussi longtemps que n’importe quel document pouvait être retrouvé en moins de cinq minutes. Et malheureusement, le sergent y arrivait généralement en moins de deux minutes.

Ils pendirent leurs pardessus à deux clous rouillés plantés dans le mur et les laissèrent goutter sur d’inestimables rapports délavés. Matt savait déjà qu’il leur faudrait les ramasser et les raccrocher au mur plusieurs fois au cours de l’heure à venir. La police devait faire attention à ses dépenses et les portemanteaux étaient onéreux.

Hitchgins fourragea dans les montagnes de papiers, à la recherche de sa cafetière rouge cabossée et d’une tasse. Travaillant dans la police, il était préférable d’apprendre à aimer le café froid. Sans se désintéresser de sa recherche, le sergent demanda :

« Quéqu’chose t’embête, Matt ?
- C’est pas vraiment que ça m’embête, mais comment est-ce que vous avez su ?
- Ah. »

Matt ne savait pas si ce dernier mot était une réponse à sa question ou un commentaire ponctuant l’exhumation de la cafetière. Quoi qu’il en fût, Hitchgins reporta son attention vers son subordonné.

« Mais enfin, t’aurais du le savoir tout aussi bien, non ?
- Moi ?
- Ouais. Tu dois essayer d’faire gaffe à tes sens. Rappelle-toi la scène quand on s’est pointés chez Kallistos.
- Et bien, il n’avait pas l’air content de nous voir. Et puis, il a dit qu'il était très occupé, mais il n'avait rien sur son bureau. Alors soit il nous a menés en bateau, soit il a tout nettoyé avant qu'on n'entre, soit il était avec quelqu'un.
- Les trois. Quoi d'autre? »

Matt hésita un moment avant de capituler:

« Me le direz-vous?
- T'as pas senti s't'odeur de clope quand on est entrés?
- Et alors?
- Kallistos a les chagnottes bien blanches, pas de traces sur les nougats non plus. En plus y'avait pas un cendar dans toute la baraque. Et en plus, c'était une odeur de tabac chaud, pas c't'espèce de r'lent froid qui s'incruste dans les murs et les fringues ad vitam. Nan, ça sentait vraiment comme une clope encore allumée. En plus, on a vu Kallistos ouvrir la fenêtre pour évacuer ça, non? Donc, y'avait un fumeur dans s'te pièce juste avant qu'on débarque.
- D'accord, mais ça pourrait être à peu près n'importe qui... Il y a quand même un paquet de gens qui fument.
- Ouais. Mais pourquoi y se sentiraient obligés de s'barrer en douce par derrière quand y a deux poulets qui attendent à la porte, hein?
- En même temps, on sait bien que ce Kallistos n'est pas très net comme gars. Ce n'est pas étonnant qu'il ait des fréquentation qui veuillent nous éviter. En fait, c'est le cas de la plupart de ses hommes de main, non? »

Hitchgins désapprouva d'un léger mouvement de tête, continuant à regarder Matt tout en versant du café froid dans sa tasse.

« Non. Sûrement pas. Kallistos est friqué et pas franch'ment du style à s'prendre pour une merde. Tu l'imagines laissant n'importe quel clampin s'en rouler une dans son bureau, là comme ça? Et t'imagines sa gueule si un d'ses larbins s'amusait déposer des cendres de cigarettes sur son précieux bureau? Ben ouais, y'avait de p'tites traces toutes fraîches sur le bureau, et aussi sur le tapis. Son -ou ses- visiteur a du les balayer vite fait d'un revers de main avant de s'casser. Alors, y a deux options j'dirais: soit Kallistos avait la trouille d'un plus gros poisson qu'lui, soit il avait b'soin des services d'un plus p'tit.
- Bon, d'accord. Mais pourquoi avoir choisi la seconde possibilité? Je sais bien que Kallistos a joué de malchance ces derniers temps, mais ça pourrait justifier l'une ou l'autre des options. »

Hitchgins posa sur le bord de son bureau la tasse dans laquelle il s'était apprêté à boire.

« Nan, rien à voir avec la malchance. Bien pire: l'a eu droit à l'attention spéciale du juge Peter. Et l'a foutu les banquiers en rogne, aussi. Très dangereux, ça. Réfléchis-y à deux fois avant d'voler des banquiers: y tiennent à leur monopole sur s'genre d'activité. Et pis tu sais comme y sont ces gangsters, toujours près à s'jeter comme des vautours sur çui qu'est dans la panade. Nan, sérieux, le Kamilet a aucune raison de v'nir négocier s'qu'il a de toutes façons déjà pris...
- Oui, je suppose que ça se tient. »

Hitchgins commença à boire son café. Mais soudain, il recracha le tout en une gerbe brun-noir qui alla maculer les monceaux de papiers alentours. Il s'ébroua de dégoût, le nez retroussé, ses bajoues ondulant sous le mouvement. Il souffla encore, mouchetant un peu plus l'informe capharnaüm de son bureau, et vida le reste de sa tasse dans la poubelle. La femme de ménage serait encore furieuse. Le sergent se lança alors sommairement dans le séchage des documents étalés devant lui.

« Et ben, marmonna-t-il, je f'rais bien de faire plus gaffe à c'que j'fais d'mes propres cendres. »

Matt essaya vainement d'aider, sans grand enthousiasme, il est vrai. Il était perdu dans ses pensées.

« Ce que je n'arrive pas à saisir, c'est ce que cherche le juge dans cette affaire.
- J'en sais foutre rien.
- Oh, allez, vous avez sûrement une idée!
- Nan, j'ai besoin de faits.
- Mais...
- Est-s'que tu m'prendrais pas pour c'te vieille sorcière débile à Delphe qui racontait des conneries en se changeant les neurones en pop-corn avec ses herbes à fumette? Nan, les faits ont toujours été, sont, et seront toujours le carburant pour alimenter tout raisonnement sensé. Les faits, purs et durs. Tu dois comprendre que les faits sont le délicat pollen à partir duquel on peut élaborer le miel sucré de la déduction. Tout le reste, c'est des foutaises. »

Matt s'imagina fugitivement Hitchgins en abeille. Pire: en abeille ouvrière. Il effaça rapidement cette horrible vision de son esprit pour se reconcentrer sur le sujet.

« Mais pourquoi Peter s'embêterait-il à traiter avec Kallistos s'il est tombé si bas? Pourquoi ne pas contacter directement le Kamilet? Il doit bien avoir un plan.
- Le juge s'occupe de plein de trucs à la fois. Il doit se concentrer sur s'qui lui paraît l'plus important et s'débrouille pour réaliser des coups à plusieurs bandes. S't'un peu hors d'not' portée, tu vois? En plus, t'as dév'loppé une fâcheuse tendance à lancer des déductions farfelues sans examiner la situation de près...
- Ecoutez...
- Prends ta p'tite amie par exemple. T'as un peu monté l'truc en épingle, c'est clair. Même un examen superficiel des indices montre qu'elle t'a trompé que dans ton imagination enfiévrée...
- Comment savez vous ?!... »

.
 
C'est vraiment sympa ton aar.
Mais il me faudra plus de tps pour le lire en entier :(
Pas d'inquiétude, j'en viendrai à bout.
 
Pas grave, il me faudra plus de temps pour le traduire de toutes façons (et pour continuer l'original...)^^

Quoi qu'il en soit, merci d'avoir déposé un message :) .
 
Bonne année à tous, et une bonne santé, hein... :p Allez, hop, un petit post, il y avait longtemps...