L’apparition
L'apparition
« Le Jeudi 11 Février 1419, à l'âge de 14 ans, Bernat ramasse du bois près d'un ruisseau de Lourdos, quand il entend un grand bruit, comme celui d'une tempête. Il regarde autour de lui : ni les arbres, ni l'eau ne bougent. Il entend à nouveau le bruit de tempête. Effrayé, il lève la tête et perd tout pouvoir de parole et de pensée. Un nuage doré émerge d'une grotte voisine, suivi d'une entité, qu'il perçoit comme un bel homme, qui se place juste au-dessus d'un buisson agité comme par un vent violent. L’homme est vêtu de blanc, avec une ceinture bleue, une rose jaune à chaque pied, un chapelet à son bras. Lorsque « l’homme » regarde Bernat, toute peur le quitte, mais aussi toute conscience de l'endroit où il peut se trouver. Il veut prier mais, lorsqu'il tente de lever la main vers son front, son bras reste paralysé. Ce n'est qu'après que « l’homme » ait fait le signe de croix que Bernat peut en faire autant.
Quand l'histoire est connue, elle est reçue avec incrédulité par les autorités locales et les prêtres. Le père Peyramalle, curé de la ville, se montre particulièrement irrité et suggére que l’homme fasse fleurir un rosier devant toute la foule pour convaincre tout le monde. Lorsque Bernat présente cette requête du prêtre local à l’homme, celui-ci se contente se sourire.
La grotte :
Pendant 15 jours, l’homme apparaît à Bernat et leurs conversations portent surtout sur l'érection d'une chapelle et l'organisation de processions. Parfois, le dialogue semble totalement absurde : un jour, l’homme ordonne à Bernat d'aller se laver et boire à la source. Bernat en cherche une, n'en trouve pas et, en désespoir de cause, se met à creuser le sable. De l'eau apparaît et remplit le trou, transformant le sol en boue. Bernat essaye de se laver et ne réussit qu'à se barbouiller le visage de boue. La foule se moque de lui, surtout lorsqu'il tente de boire l'eau puis de manger l'herbe, après que l'entité lui ait intimé l'ordre d'aller manger de cette herbe qui pousse là-bas ! Le lendemain, un petit filet d'eau claire coule à l'endroit creusé. Un aveugle, Louis Bouriettos, se lave les yeux à la source et recouvre la vue. Un bébé mourant est guéri. Le comportement de la foule change radicalement, et le ridicule fit place à l'acceptation fanatique.
La phase suivante des apparitions est marquée par une demande de pénitence. Bernat reçoit l'ordre d'embrasser le sol pour les pêcheurs. Le jeune garçon, et tous ceux qui sont là, se mettent à embrasser la terre en signe d'humilité.
Une autre constatation importante concerne l'état de transe dans lequel est plongé Bernat. Un apothicaire, le vieux Bouzous, ayant décidé de démontrer qu'il n'était qu'un malade mental, se livre sur lui à une expérience. Il observe l'application d'une bougie enflammée pendant 15 mn, sur la main de Bernat. Lorsqu'il a terminé ses prières, il vit l'extase quitter son visage : « Je lui demandai de me montrer sa main gauche. Je l'examinai avec grand soin sans trouver la moindre trace de brûlure. Je demandai à la personne qui tenait la bougie de la rallumer et de me la donner. Je la plaçai plusieurs fois de suite sous la main gauche de Bernat mais il l'enleva vivement en disant "Vous me brûlez !" J'enregistre ce fait tel que je l'ai vu, sans essayer de l'expliquer.
Bernat en pleine extase mystique :
Sire, voici l’histoire telle qu’on me l’a rapportée. Le jeune Bernat prétend que « l’homme » l’a chargé d’un message à votre intention. L’aura de Sainteté dont le bon peuple l’affuble serait certainement du meilleur effet pour votre réputation aussi je me permets de vous conseillez d’accepter de le recevoir.
Signé : Monseigneur Mirabile, achevèque de Perpignan.
Le roi Alfonso, cinquième du nom referma la lettre en souriant. Il se tourna vers sa petite cour d’Aragon, peuplée de bons gros seigneurs paillards, poètes et bons vivants, bien entourés de femmes légères et d’artistes divers.
- Messieurs, nous allons avoir de la distraction : un petit berger va venir nous rendre visite. Il semble que Dieu en personne nous l’envoie.
Un éclat de rire général retentit.
Quelque part en Enfer des observateurs attentifs n’en perdent pas une miette.
- Alors là, franchement j’en suis sur le cul, je suis impatient de voir la suite, dit Méphistophélès d’un ton clairement admiratif.
- Je vous l’avais bien dit : deux siècles d’expérience chez chacun de vos concurrents. Je connais leurs méthodes par cœur, se vanta Arès.
- Moi j’ai toujours rien compris, gémit Belzébuth. En quoi ça fait avancer le schmilblick tout ce cirque ?
- Et c’est moi qu’on accusait de manquer de subtilité ? questionna perfidement Arès.
- En tout cas c’est pas moi qui ait l’air con avec des roses jaunes au pied ! Enfin de la part d’un Grec ça ne m’étonne guère, persifla Belzébuth.
- Tu me préfères plus viril ? comme ça ?
- Ou comme ça ?
- Allons Bebel, on ne va tout de même pas reprocher à notre nouvelle recrue d’adopter l’approche biaisée qui fait le succès de la boîte depuis le coup de la pomme, corrigea Lucifer. Moi aussi je suis impatient de voir la suite de son plan-marketing : allons-y.
Le Seigneur des Ténèbres étendit la main vers le miroir d’observation dont la surface sembla bouillonner avant de se stabiliser à nouveau sur la salle du trône d’Alfonso. Cette fois plus question de banquet : le roi se tenait avec toute la dignité possible sur son trône, les courtisans rangées en deux impressionnantes rangées silencieuses de part et d’autre. Le petit berger, habillé très simplement mais propre, avançait timidement, un éclat lumineux dans le regard. Il alla jusqu’au pied du trône et s’inclina respectueusement devant son suzerain :
- Vot’ majesté. J’étions bien content qu’vous m’recevions, peuchère dit l’enfant.
- Comment pourrais-je refuser de recevoir un messager du ciel ? répondit ironiquement Alfonso, ce qui déclencha des rires serviles parmi les courtisans.
Le jeune homme se tourna vers les courtisans avec un regard sévère :
- Mécréants qu’vous êtes ed’rire ! Not’ Seigneur l’est pas content d’vous, oh ça non, fan de chichourle ! I m’l’a bien dit l’ange ed’lumière ! Qu’vous feriez bien d’vous r’pentir, pour ça oui !
- Et pourquoi donc notre Dieu serait mécontent de nous, mon enfant ? demanda le roi qui s’amusait beaucoup.
- Parce que vous tolérez les mécréants, c’te blague ! Pis qu’vous vous euh… vautrez dans’l luxe et la sculpture, qu’i m’a dit l’ange.
- La sculpture ?
- J’étions pas bien sûr de c’mot-là. J’suis qu’un pauv’ paysan not’ Sire.
- La luxure sans doute ? suggéra le souverain.
- Voila, not’Sire ! La luxure, j’comprenions pas bien c’qu’e c’est mais c’est mal. Pis aussi qu’dans vos terres en Italie c’étions encore pis qu’ici. Et qu’vous serez damné pour la peine qu’vous faites mal vot’ boulot ed’roi qu’est d’être un modèle ed’chrétien. Vla c’qu’i m’a dit l’ange, sauf respect not’ majesté.
Les courtisans commençaient à gronder de façon menaçante devant ce paysan qui osait accuser le roi et toute la cour. Alfonso les fit taire d’un geste bien qu’il commença à s’amuser un peu moins :
- Et sans doute ton ange t’a-t-il donné un signe irréfutable pour que la cour s’incline devant la divine provenance de ce message ?
- Non, not’ Sire.
- Alors comment puis-je te croire, mon enfant ?
- I m’a dit qu’i viendra quand c’est qu’vous m’recevrez.
- Et où est-il donc ?
-ICI.
L’être étincelant apparut au-dessus de Bernat qui le contemplait, extatique. Le roi tomba à genoux ainsi que toute la cour, terrifiée.
- ORGUEIL. ENVIE. GOURMANDISE. LUXURE. COLERE. AVARICE. PARESSE. TA COUR EST CORROMPUE. TU ES CORROMPU. LA REDEMPTION PASSE PAR L’AME PURE DE CET ENFANT. ECOUTE ET OBEIS.
La lumière s’intensifia au point d’être insoutenable et l’être disparut. Alfonso et sa cour regardaient l’enfant avec une immense terreur. Certains devraient changer de sous-vêtements rapidement. Le jeune Bernat avait désormais toute leur attention :
- Alors l’ange i m’a dit comme ça qu’fallait prendre les armes pour l’Christ-roi, peuchère !