Introduction
Quand Nemevic rencontre Milicic
Stefan Lazarevic
Stefan Lazarevic régnait depuis 1389, soit trente longues années. Agé aujourd'hui de 41 ans, il avait passé sa vie à essayer de relever son royaume après le désastre de Kosovo. Ce funeste 15 juin 1389 avait vu la défaite de la coalition chrétienne menée par son père Lazare pour se libérer de la tutelle ottomane. Trahi par ses alliés, submergé par les renforts menés par Bajazet, le révolté avait été capturé et décapité, ses chevaliers massacrés. Miliča, sa veuve, avait pu négocier le maintien de la couronne pour le jeune Stepan, mais le sultan était reparti avec sa plus jeune fille.
Depuis, Stefan avait oeuvré pour maintenir et renforcer son Etat. Simple vassal, il avait combattu en 1402 aux côtés de Bajazet à la bataille d'Angora pour stopper les Mongols où lui-même avait echappé de peu au désastre. Sur le retour, passant par Byzance, il obtint de l'empereur le titre de Despote de Serbie, le rang le plus élevé après celui d'empereur.
Cela marquait la fin de la désintégration de l'Etat serbe, commencée à la mort de l'Empereur serbe Etienne IX Douchan en 1355. Il ne restait aujourd'hui plus grand chose de cet empire: écrasé entre la Hongrie au nord et les Turcs au sud, Stefan n'avait quasiment aucune marge de manoeuvre et restait soumis aux desiderata de ses encombrants voisins. Il essayait de balancer entre l'un est l'autre, pour la renaissance de la Serbie. Dès 1403, il se rapprocha de la Hongrie et, en échange de sa vassalité, obtint Belgrade, la région de Macva, la forteresse danubienne de Golubac et la ville minière de Srebrenica. Profitant de la guerre civile ottomane, il forma une coalition avec les Bosniaques, les Hongrois et un prétendant au sultanat, Musa. Vaincu près du mont Vitosa en 1413, il signa cependant une paix favorable lui accordant de nombreux territoires en Serbie centrale.
Sur le plan économique, le royaume évoluait vite grâce à l'influence italienne, par l'intermédiaire du port de Raguse, et les mines de Srebrenica et de Novo Brdo fournissaient un cinquième de l'argent européen, production encadrée par un code de lois précis, oeuvre de Stefan.
Miniature extraite du code de lois minières (1412)
Les villes se développaient, notamment Belgrade, capitale depuis son obtention, mais petite capitale puisque les Hongrois l'avaient laissé à l'abandon, et la Serbie possedait un nouveau et grandiose monastère fortifié, Manasija, symbole de ce renouveau, dans la riche vallée de la Morava.
La culture brille également, illustrée par la figure dominante de Constantin le Philosophe, le Despote lui-même étant un poète respecté.
Forteresse de Golubac
sur la rive droite du Danube, en aval de Belgrade
Monastère de Manasija
sur les pentes de la vallée de la Morava
La cour étant elle-même influencée par les nouvelles moeurs italiennes, Stefan extrayait peu à peu le royaume de ses années les plus sombres. Mais il n'avait toujours pas les moyens de lui redonner une véritable indépendance.
Debout sur les remparts de Kalemegdan, accoudé à un créneau, Stefan regardait au loin. "Il est impossible de s'en sortir. Il faudrait réunir toutes le principautés serbes séparées depuis la mort d'Etienne, surtout la Bosnie, et réincorporer ceux qui ont fui les Turcs en allant dans le Banat... Mais pour cela il faudrait vaincre la Hongrie..." Au loin, coulait le Danube, calme et puissant. Lui aussi était au nord. "Salauds de Hongrois; salauds d'Agariens. Le pire, c'est que le peuple espère ces envahisseurs qui ne pratiquent pas la corvée."
Sire.
Stepan tourna la tête, sortant de ses songes. C'était son secrétaire, Nemevic.
Ah oui, le Conseil. Allons-y.
Stepan:
Bon. Mes amis, voici Milicic, le chargé temporaire du trésor qui remplace Vilic parti se reposer. La situation financière? L'énergie qu'il déployait à redresser le royaume était visible à chacun des conseils.
Milicic:
Nous avons 49000 ducats en réserve. Nous en gagnons 3900 par an mais en perdons 600 par mois. L'inflation est à 0 % mais il semble qu'elle va augmenter.
Tout le monde connaissait le jeune disciple qui accompagnait Vilic depuis plusieurs semaines maintenant. Et Vilic semblait effectivement moins bien ces derniers temps.
Stepan:
Que pensez-vous de lui? Demanda-t-il à Nemevic qu'il considérait comme étant de bons conseils.
Nemevic:
Il me plaît. Puis, à Milicic:
Vilic nous rejoindra une autre fois. Vos idées? Stepan ne protesta pas devant cette initiative, autre signe de leur très bonne entente.
Milicic:
Développer l'administration, d'abord à Belgrade pour obtenir plus de profits, plus rapidement, puis au Kosovo. Diminuer l'entretien des troupes, actuellement inutilisées. Diminuer les prélèvements mensuels, quitte à accroître le déficit; on restera de toute manière positif grâce aux revenus annuels. Nous serons gagnants sur le long terme. Sinon, en laissant l'inflation augmenter, nous hypothéquons l'avenir du royaume.
Stepan:
Pourquoi pas, mais n'est-ce pas imprudent alors que les Hongrois peuvent se retourner contre nous et que les Agariens nous attaquerons un jour ou l'autre.
Mijhajlovic:
C'est vrai ça; on n'a que 8000 hommes. A peine plus que la Bosnie! Et si en plus on ne les entretient pas; alors là, moi je ne réponds plus de rien, autant abandonner. Lui aussi avait fait Kosovo mais, contrairement à Stefan, il ne s'était jamais remis d'avoir vu Lazare et tant de chevaliers se faire décapiter.
Milicic:
Eh bien profitons-en.
Stepan:
Comment ça?
Milicic:
Ecrasons la Bosnie.
Silence dans la salle.
Mijhajlovic bondit:
Quoi! Vous voulez les battre? Dans leurs montagnes?! Vous rigolez ou quoi! En plus ils sont alliés à Raguse alors que nous, on n'a personne. A eux deux, ils sont bien plus forts que nous!
Du calme. Mijhajlovic a raison. J'ai à faire ce soir, vous aurez une discussion avec Nemevic dans ses appartements.
Le chargé temporaire du Trésor rejoignit le secrétaire dans ses appartements.
Pourquoi voulez-vous attaquer la Bosnie?
Pour augmenter nos revenus, nos capacités militaires et renforcer le pays. Ne me dites pas que vous ne souhaitez pas résister aux deux ogres et reconstituer l'empire de Douchan.
Bien sûr que si. Bien plus que vous ne l'imaginez. Simplement, obtenir la Bosnie ne changera pas grand chose, et pour ce qui est de l'unité, il restera le Banat; au nord...
Nous l'aurons aussi.
Vous êtes ambitieux, mais en avez-vous les moyens?
Oui.
Il se leva de son siège, s'approcha du secrétaire, et, se penchant vers lui, sourit. Un sourire cynique, accompagné d'un petit rire. Ses mains étaient cachées dans son dos. Nemevic, d'un calme absolu, leva la tête et sourit à son tour. Le même sourire. Stupéfait, Milicic se redressa.
Visiblement, nous sommes faits pour nous entendre... Où est Vilic?
Dieu seul le saît.
Ah, oui, Dieu. Je l'oublie souvent.
Moi aussi.
Leur rire fut étouffé par les épais murs du château. La réunion se poursuivit jusqu'au petit matin, accouchant d'un projet qui ne pouvait naître que de deux cerveaux malades crevant d'une soif d'éternité.