Humbert II, né l’an 1312, baron de Faucigny depuis 1328, succéda l’an 1333 à Guigues VIII, son frère. Il était absent depuis 1328, étant allé en Hongrie pour recueillir la succession de Clémence de Hongrie, veuve de Louis Hutin, Roi de France, sa tante, qui l’avait institué son héritier universel. De là, étant passé à Naples, il y avait épousé l’an 1332, Marie de Baux, fille de Bertrand, Comte d’Andria et nièce du Roi Robert par Béatrix sa mère.
Pendant son absence, Béatrix de Viennois, sa tante, exerça la Régence du Dauphiné avec les principaux seigneurs du pays. La victoire remportée par Guigues VIII sur le Comte de Savoie, l’an 1325 à Varei, des arbitres choisis de part et d’autre parvinrent à établir une paix solide entre elles par un traité qu’elle conclurent le 7 Mai (Général de Beaumont T.I p. 405)
L’an 1335, l’évêque de Genève, inquiété et troublé par le Comte de Genevois, transporta au Dauphin les hommages que ce Comte lui devait pour divers châteaux et seigneuries situés en ce pays. L’acte est du 1er octobre (Valbonnais T. II p.301). Cette concession fut de très près suivie de la perte que fit le Dauphin de son fils unique, âgé de deux ans et demi. Une ancienne tradition, adoptée par des écrivains modernes, porte que la nourrice de l’enfant, ou le Dauphin lui-même, en le balançant sur une fenêtre du château de Beauvoir en Royans, sous laquelle passait la rivière Isère, le laissa tomber dans l’eau où il se noya. Mais, le Président de Valbonnais s’inscrit en faux contre ce récit, ainsi que contre l’épitaphe de ce jeune prince, où l’on donne l’année 1338 pour la date de sa mort. Il prouve effectivement par un titre de la chambre des comptes de Grenoble que l’enfant mourut au mois d’Octobre 1335 ; et de ce qu’un autre titre porte qu’il était malade quelque temps auparavant, il en conclut que ce fut cette maladie qui l’enleva. Quoiqu’il en soit, le père fut inconsolable de cet événement.
Il n’y avait point encore de tribunal fixe et permanent en Dauphiné pour juger les causes en dernier ressort. Humbert par lettre du 22 février 1337 (V.S.) établit un Conseil Delphinal à St Marcellin (Valbonnais pr. P. 328) et trois ans après il le transporta dans la ville de Grenoble dont il partageait la Seigneurie avec l’Evêque. Guillaume de Vienne, Seigneur de Saint George, formait à l’exemple de ses ancêtres des prétentions sur la ville et le Comté de Vienne comme descendant, disait-il des Comtes de Vienne et de Macon. Ne pouvant les faire valoir, il en traita par acte du 9 novembre 1337 avec le Dauphin (Valbonnais T. II p.347). Cette acquisition litigieuse ne fut pas oisive entre les mains de Humbert. L’année suivante, pendant l’absence de l’archevêque, il fit une irruption subite dans Vienne dont il se rendit maître et obligea les habitants, par traité, le 22 août, à le reconnaître pour Gardien de leur ville. Cinq jours après, le chapitre métropolitain qui partageait l’autorité temporelle avec l’Archevêque, lui abandonna ses droits, et le surlendemain il l’associa au nombre de ses chanoines (l).
1)Je remarquerai ici, dit M de Valbonnais, que les Dauphins de Viennois étaient chanoines nés en plusieurs églises, comme en celle de Vienne et d’Embrun. Ils assistaient au choeur, de même que les autres chanoines, revêtus des marques de cette dignité. Quoique l’église du Puy fût hors des terres de leur domination, il y jouissaient toutefois de la même prérogative en qualité de Comtes d’Albon. Lorsqu’ils venaient s’y faire recevoir, l’Evêque et le Chapitre allaient en procession au devant d’eux et les accompagnaient à l’église au son des cloches et des instruments de musique. Ils étaient ensuite installés dans une place de Chanoine et admis à la distribution du choeur. Ils avaient droit aussi de prendre sur l’autel tout l’argent des offrandes dont ils faisaient part aux assistants. L’an 1282, Humbert étant allé au Puy, prit possession de sa place de Chanoine et reconnut la tenir en fief de l’Eglise, ainsi que les terres et revenus qui en dépendaient. (T.1 p.231).
Humbert se piquait de magnificence, et tenait une cour sur le pied de celles des têtes couronnées. Il ambitionna même les honneurs de la royauté; et nous avons une lettre d’Edouard III, roi d’Angleterre, à l’Empereur Louis de Bavière, en date du 3 mars 1338, par laquelle il le supplie d’accorder au Dauphin le titre de Roi d’Arles. (Rymer T.V p.10) Louis de Bavière se rendit d’autant plus volontiers à cette demande qu’il acquérait par là un nouveau partisan dont il avait grand besoin dans les conjonctures critiques où il se trouvait. Mais, Humbert, faisant ensuite réflexion qu’en acceptant cette faveur, il allait se compromettre avec la Cour Pontificale, siégeant pour lors à Avignon, et ennemie déclarée de Louis de Bavière qu’elle refusait de reconnaître pour Empereur, ne jugea pas à propos d’en faire usage. Il ne négligea pas, de même, l’exercice de l’autorité qu’il s’était fait accorder dans Vienne par le chapitre et les habitants de la ville l’Archevêque s’étant pourvu contre ses entreprises à la cour d’Avignon, obtint de Benoit XII une Bulle en date du 12 des calendes de décembre 1340, qui déclarait nulle la cession que le chapitre avait faite au Dauphin sur les droits de la ville (Valbonnais T.II p.324) .
Humbert avait traité plus solidement, le 20 Juin de cette année, avec Ainard II, Baron de Clermont. Par l’acte de leurs conventions, Ainard fit au Dauphin donation pure et simple des terres de Recoin, de la Chapelle, de la co-Seigneurie de Divisin, du domaine supérieur de Montferrat etc. qui ne relevaient d’aucun seigneur ; et le Prince en échange lui donna le Vicomté de Clermont en Trièves, le créa Grand-Maitre-d’Hôtel de sa maison et de celle de la Dauphine et le déclara Capitaine-Général de ses armées, ordonnant qu’en cette qualité il commanderait toujours l’avant-garde de ses troupes, charges qui seraient héréditaires dans sa maison. Ainard II remontait de père en fils à Siboud, Seigneur de Clermont et de Saint Geoire dont il est fait mention dans un titre de la Chartreuse de Silve-Bénite de l’an 1080 (Anselme T. VIII p. 907).
Cependant, le faste que Humbert étalait étant au dessus de ses revenus, il était obligé de recourir aux emprunts pour le soutenir. L’an 1340, il était redevable depuis plusieurs années envers la Chambre Apostolique de 16 mille florins qu’il différait toujours de rembourser. Le Pape Benoît XII, las de ces délais, employa cette année la voie des censures, fort usité alors en pareil cas pour le contraindre à s’acquitter. Elles firent leur effet, Amblard de Beaumont, Ministre du Dauphin, ayant ramassé cette somme, la porta à la Chambre Apostolique. Mais on refusa de la recevoir si l’on n’y joignait pas la terre d’Avisan sur laquelle sa Sainteté avait des prétentions. Ainsi le Dauphin resta sous l’anathème jusqu'à la mort de Benoît, arrivée l’an 1342. La difficulté s'étant aplanie sous Clément VI, ce pontife par son bref du 23 juillet 1342, donna pouvoir au Confesseur du Dauphin de l’absoudre en l’exhortant à lui imposer en pénitence quelque œuvre pie. Ce fut ce qui occasionna la fondation que Humbert fit par ses lettres du 24 décembre de cette année, d’un monastère à Montfleuri près de Grenoble, pour 80 religieuses de l’Ordre de St Dominique. Les dépenses que cet établissement exigeait, jointes à celles de sa cour, qui ne diminuaient pas, dérangèrent tellement ses affaires, qu’il se vit hors d’état de satisfaire ses créanciers.
Le Roi Philippe de Valois, instruit de son embarras, gagne ses officiers, et les engagea à lui persuader de faire cession de ses états à la France, sous la promesse d’en recevoir une compensation qui le mettrait en état de passer heureusement le reste de ses jours. La négociation réussit au gré du Monarque. L’an 1343, par un traité qui fut ratifié
1) à Vincennes le 23 Avril;
2) Quelques jours après à Sainte Colombe près de Vienne, où le roi s’était transporté
Humbert fit donation de tous ses états à Philippe, Duc d’Orléans, fils puîné du Roi, lui substituant, faute d’hoirs, l’un des fils de Jean de France, Duc de Normandie, tel qu’il plairait au Roi de nommer. Mais, l’année suivante, on fit, en présence du Pape, le 9 Juin à Avignon, un autre traité par lequel Humbert faisait donation entre vifs, pure et irrévocable, de tous ses états en faveur de Jean, Duc de Normandie ou de l’un de ses enfants, sous la condition que son successeur aux dits Etats conserverait aux Dauphinois leurs privilèges ; ce qui fut confirmé par deux bulles du Pape Clément VI données le 9 Juillet et le 11 Septembre suivant. Il est remarquable que le Pape donna ces bulles par l’autorité tant impériale que pontificale, regardant la première de ces deux autorités comme dévolues au Saint Siège par l’excommunication de Louis de Bavière qui rendait, selon lui, l’Empire vacant.
"Auctoritate, dit-il , tam apostolicae quam imperiali cum imperi regimen, eo vacante, sicut nunc vacat, in nobis et in Romana Ecclesia residens noscatur" (Mem. De l’ac. des B.L. T. XXXVII, p.460) .
Cent vingt mille florins d’or et dix mille livres de pension viagère furent le prix de la libéralité du Dauphin envers la France. Amblard de Beaumont, qui fut l’âme de la négociation, avait été récompensé dès l’an 1343 par une pension de 600 livres que lui avait assigné le Monarque français. La légèreté et l’inquiétude de Humbert ne lui permirent pas de vivre en repos après le sacrifice qu’il venait de faire.
Le Pape ayant publié une Croisade contre les Turcs, il demanda et obtint d’en être nommé le Chef. Revêtu de ce titre; il reçoit le 25 mai 1346, des mains du Pape à Avignon, l’Etendard de l’Eglise, et va s’embarquer le 2 septembre à Marseille. Ayant abordé à Nègrepont, il entra de là en Asie. Après quelques avantages remportés l’année suivante sur les infidèles, il reçoit un ordre du Pape de faire une trêve avec eux. Alors, il remet à la voile pour son retour, et perd à Rhodes, dans le mois de mars ou d'avril 1347 son épouse, qui l’avait accompagné.
On parla, quand il fut revenu, de le remarier ; et comme les traités qu’il avait faits avec la France n’offraient qu’une succession éventuelle, ce projet donna de l’inquiétude à cette couronne. Il fallut négocier avec lui de nouveau, et l’on vint à bout de lui lier entièrement les mains par un traité dressé le 29 mars1349 à Romans : après quoi, dans une assemblée solennelle, tenue le 16 juillet à Lyon, en présence de Jean, Duc de Normandie, fils aîné du Roi de France, Humbert fit une abdication solennelle de tous ses états en faveur de Charles de France, fils aîné du Duc de Normandie, qu’il investit sur le champ en lui donnant l’ancienne épée du Dauphiné et la bannière de St Georges avec un sceptre et un anneau (Valbonnais, T1 p.349 et 350). Le même jour, le nouveau Dauphin, par un acte particulier, fit entre les mains de l’Evèque de Grenoble, représentant le corps de l’Etat, le serment de conserver les libertés, coutumes et privilèges du Dauphiné conformément à la dernière Ordonnance dressée le 14 mars précédent, par ordre de Humbert : c’est ce qu’on appelle le Statut Delphinal. Le lendemain, Humbert, à la persuasion de Jean Birel, Général des Chartreux, son Confesseur, prit l’habit de Saint Dominique.
Le 13 du même mois, Charles rendit hommage devant le grand autel de l’église cathédrale de Lyon à l’Archevêque Henri de Villars et à son chapitre, les mains jointes entre celles du Prélat pour différentes parties du Dauphiné qui relevaient de cette église, et qui sont énoncées dans l’acte qu’on dressa de cette cérémonie. Le 2 août de la même année, il rendit un semblable hommage à l’église de Vienne (Rec. De Fontanieu vol. 77) ; et, dans le mois de décembre suivant, il fit à Grenoble son entrée à laquelle Humbert assistât avec l’habit de son ordre (Valbonnais T.1 p.351).
L’abdication d’Humbert n’était point encore solennellement notifiée à ses sujets. C’est une formalité qu’il remplit le 1er février 1350 en présence des principaux Seigneurs du pays assemblés dans le couvent des Dominicains de Grenoble auxquels il déclara par un discours également ferme et touchant " qu’à l’avenir ils eussent à reconnaître Charles de France pour leur légitime Souverain. " (journ. de Verd. oct 1745 p.254).
La même année, Humbert s’étant rendu à Avignon pour être promu aux Ordres Sacrés, il les reçoit tous, dans l’intervalle des trois messes de Noël, de la main du Pape. Cette précipitation dont le prétexte était d’honorer davantage le Dauphin et le vrai motif de l’empêcher de rentrer dans le monde, comme le bruit courait qu’il en avait le dessein, fut suggéré par la Cour de France avec laquelle Clément VI agit toujours de concert dans cette affaire. Pour la tranquilliser parfaitement sur le compte de Humbert, huit jours après il le sacra Patriarche-Latin d’Alexandrie. Le roi le fit pourvoir, en 1352 de l’administration de l’Archevêché de Reims et le nomma le 25 janvier 1354, Evêque de Paris. Mais Humbert se démit du soin de l’église de Reims, le 22 février suivant, entre les mains du Pape, renonça à l’Evêché de Paris et se retira à Clermont en Auvergne, dans le couvent de son ordre où il mourut le 22 mai 1355, comme porte l’épigraphe gravée sur sa tombe, dans la 43e année de son âge. Son corps fut transporté chez les Dominicains de Saint Jacques à Paris, et inhumé dans le choeur de leur Eglise, près de la reine Clémence de Hongrie, sa tante. Outre le fils qu’il avait eu de son mariage, mort comme on l’a dit en 1335, il laissa un fils naturel, Amédée, avoué de Viennois, duquel descendent les Seigneurs de Viennois et deux filles naturelles, dont la seconde, nommée Catherine, fut mariée à Pierre Lusinge.