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XXXIX. Agathe
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“Elle est ici ?” demanda Agathe en désignant le petit escalier menant à la crypte de l’église Santa Lucia de Pera.

“O… Oui, Votre Majesté”, répondit Hugues le Malné d’un ton apeuré. L’impératrice se demandait où était passé le jeune homme plein d’assurance qui, il y a des siècles de cela, rêvait de devenir chevalier. “Mais elle n’aime pas être dérangée, peut-être pourriez-vous la voir plus tard ?
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Frère Huguesle Malné

-Il s’agit de ma dernière dernière occasion de lui parler, répondit Agathe. La nuit est tombée et mon bateau m’attend pour retraverser la Corne d’Or. Demain, je serai partie en campagne. Mais ne t’inquiète pas, Hugues, j’irais seul.” Elle fit un signe de tête à sa fidèle Pulchérie et aux deux gardes pour leur ordonner de rester avec son neveu.
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La duchesse Pulchérie Doukas, cheffe de la Maison de l'Impératrice

Hugues voulut l’en dissuader encore une fois, mais elle l’ignora et descendit les marches. Après avoir poussé la porte, elle se retrouva dans une petite pièce toute en longueur et plongée dans l'obscurité. Elle passa entre deux rangées de colonnes qui semblaient lui faire une haie d’honneur jusqu'à un sarcophage éclairé par deux flambeaux.

Agenouillée devant le tombeau, Catherine de Bartanay murmurait des prières du bout des lèvres. Agathe s'approcha dans son dos, et alors qu'elle croyait la reine-mère absorbée dans ses oraisons, celle-ci prit la parole sans quitter le sarcophage des yeux.
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La reine-mère Catherine de Bartanay

“Comment m’avez trouvé ?

-Pulchérie m’a dit que vous vous y trouviez.

-Elle est bien renseignée, dit Catherine en se redressant.

-En tant que cheffe de ma Maison, c’est son rôle de l'être." Agathe se plaça devant le sarcophage où l’on avait gravé l’inscription suivante : HUGO II DEI GRATIA REX MESOPOTAMIAE. "Mais ce n’est un secret pour personne que vous vous y rendez souvent pour prier.
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Le roi Hugues II le Sombre, mari de Catherine de Bartanay et frère de l'impératrice Agathe, mort lors de la bataille de Constantinople

-Oui, je m'y rends chaque quinzaine. Et pourtant je déteste cet endroit de toute mon âme.

-Pourquoi ? s’étonna l’impératrice.

-Pourquoi ?" Catherine émit un petit rire aigre, mais ne détourna pas son regard du sarcophage. "Votre frère… pas celui-là, l’aîné, Jean que l’on surnommait l’Héritier. Eh bien Jean n’a jamais régné, il n’a même jamais obtenu le moindre titre. Il a passé sa vie ici, à Constantinople, loin de votre père. Et il a trouvé la mort dans une escarmouche pour conquérir un vulgaire lopin de terre dans le Caucase… Pourtant sa dépouille a eu l’honneur de reposer dans l’Heroon, aux côtés des empereurs grecs. Et lorsque le Glorieux vous a abandonné pour rentrer à Jérusalem, il a pris bien soin de ramener les restes de l’Héritier avec lui et de l’enterrer au Saint-Sépulcre auprès de Notre Seigneur.”

Le ton de Catherine se fit plus dur. “Et mon mari ? Un prince du sang qui a passé toute sa vie à combattre pour Jérusalem. Le conquérant de Bagdad. Un roi ! Qui a donné sa vie pour que son père remporte la plus grande de ses victoires, et fasse de vous une impératrice. Lui n’a eu le droit qu’à un sarcophage dans la crypte d’une petite église du quartier génois. Son frère Henri eut beau insister, seul son coeur embaumé fit le chemin vers Bagdad.”

Sa voix s'était brisée et elle semblait lutter pour contenir ses larmes. Agathe ne put s’empêcher de ressentir de la pitié pour cette femme qu’elle avait pourtant tant détesté.

“Je suis désolé, Catherine” dit-elle en posant la main sur l’épaule de sa belle-soeur.

La reine-mère essuya une larme puis prit une grande inspiration.

“Qu’importe le passé, dit-elle en se levant. Qu’en est-il de l’avenir ? Votre rencontre avec le podestat génois s’est-il bien passé ?

-Les négociations ont été difficiles et ne se sont achevées qu’à la nuit tombée. Les Génois ont été très hésitants, mais l’alliance entre le duc Currado et les Pisans les inquiète. Ils ont fini par accepter de nous fournir des navires pour transporter l’armée jusqu’à Bari. Dès que j'aurais repoussé l'empereur carpathe, j'embarquerai pour l'Italie.
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les guerres contre le duc de Bénévent et l'empereur de Carpathie

-Je vous en conjure, la supplia Catherine. Renoncez à cette folie. Vous devez soutenir votre neveu.

-Que ne le puis-je ? soupira l’impératrice. Mais mon mari Philippe a raison, je me dois de défendre l’Empire si je veux conserver ma couronne.

-Vous ne la conserverez pas si l’usurpateur l’emporte.

-Ne soyez pas si pessimiste, Catherine. Onfroy est affaibli depuis sa défaite devant les murs de Jérusalem. Le siège de la ville a été brisé.

-Mais pas lui, rétorqua la reine-mère. Il a trouvé refuge à Kerak et profité de l’hiver pour se renforcer. Chaque jour il devient plus fort, vous devez aider l’empereur ! Comme votre frère, mon mari, vous a aidé à obtenir votre propre trône !”

Catherine semblait presque implorer Agathe qui en fut émue.

“Je n’oublie pas le sacrifice de Hugues, je vous le promets”, murmura-t-elle. “Mais…” Elle prit un ton résolu. “Mais je dois faire mon devoir, je n’ai pas le choix.”

Catherine la regarda en silence, plongea sa main droite dans sa manche gauche et soupira : “Moi non plus.”

Le coup fut si rapide qu’Agathe n'eut pas le réflexe de l’éviter. Lorsque la dague transperça sa gorge, elle bascula en arrière et fracassa sa tête contre le sarcophage.

Elle porta ses deux mains au niveau de la dague et la retira, laissant échapper un sang noirâtre qu’elle s’empressa de stopper en appliquant ses mains.

Sa respiration était si difficile, elle s’étouffait.

“Pul… Pulch…” tenta-t-elle d’articuler, le sang qui s’échappait de sa bouche l’empêchait de parler.

"Pulchérie ? demanda Catherine dans le plus grand calme. Ne vous inquiétez pas Majesté, je vais l’appeler.”

Catherine cria le nom de sa serviteure qui entra dans la crypte suivie des deux gardes. Ils n'étaient pas le moins du monde pressés ou affolés, comme s'ils s'attendaient à ce spectacle. Les deux soldats ignorèrent complètement l'impératrice et se dirigèrent vers le sarcophage. Pulchérie, quant à elle, se contenta de la regarder agoniser.

“Oh, ne soyez pas si surprise, s’amusa Catherine. Qui donc vous a mené ici ? Et Jean l’Héritier vous avait dit de ne pas vous fier aux Doukai. Surtout pas à une Doukas dont vous avez sacrifié les terres pour sauver votre précieuse petite couronne.”

La douleur était insupportable. Elle luttait pour la moindre bouffée d’air.

“Pour… quoi? parvint-elle toutefois à articuler.

-Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? Vous n’avez décidément que ce mot à la bouche.” Catherine se pencha sur elle et la regarda droit dans les yeux. “Je ne vous aime pas, c’est vrai. Mais croyez-le ou non, il n’y a ici rien de personnel. Si vous aviez accepté de défendre l’empereur, alors peut-être n’en serions-nous pas arrivé là. Vous voulez une preuve ? Je n’aime pas non plus Jean, et pourtant je le sers. Je le sers parce que ce qui est bon pour lui est bon pour mon fils Hugues. Et leur victoire est désormais assurée.”

Catherine lui mit un doigt sur la bouche. “Je sais ce qui vous traverse l’esprit, pas besoin de vous noyer dans votre sang pour l'exprimer. Non, ni Jean ni mon fils ne sont au courant. Ce sont des enfants, et ce ne sont pas le genre de jeu qu’ils apprécient. Si je leur avais proposé, je suis sûre qu'ils auraient refusé, protesté. La même réaction que votre pleureur de neveu.” Au loin, Agathe entendait quelqu'un pleurer et prier.

“Ils... ils sauront… dit Agathe.

-Non, personne ne saura. Ces deux gaillards, dit Catherine en désignant les gardes qui venaient d’ouvrir le sarcophage, servent les Doukai. Quant à votre neveu Hugues, il aura beau geindre, il n'en finira pas moins par accepter la place dont il rêve au sein de l'Ordre de Saint Etienne. Quant au navire qui vous a mené à Péra, il ne retraversera pas la Corne d'Or, mais se rendra en Caffa. Son capitaine ne rentrera pas à Gênes avant des mois, et son équipage aura le temps de conter la petite histoire de l’impératrice apeurée qui s’enfuit de nuit pour disparaître à jamais dans les steppes barbares. Peut-être vous inventeront-ils un mariage avec un serf russe ou bien préféreront-ils vous imaginer dans le harem de je ne sais quel roitelet mahométan."

Les deux gardes la soulevèrent par les jambes et les bras.

“Mais la vérité est bien plus glorieuse, belle-soeur. Vous finirez dans la demeure d'un roi. Un vrai Montoire qui plus est.”

Les deux gardes la déposèrent dans le sarcophage. Allongée dans ce tombeau froid, Agathe était en proie à la panique. Elle sentait son sang chaud s’écouler de sa blessure et luttait de toutes ses forces pour rester consciente.

“Ne vous inquiétez pas, Majesté, dit Catherine en se penchant sur elle, les deux bras croisés sur les rebords du sarcophage. Vous ne partagerez pas cette ultime demeure avec un autre. J’ai pris soin de faire retirer les os de mon mari. Ils reposeront à Bagdad, auprès de mon fils.” Elle lui lança quelque chose de rond et froid qui roula sur son torse. “Et n’oubliez pas votre couronne, vous avez tant sacrifié pour elle.”

La dalle se referma dans un bruit terrible.

Puis ce fut les ténèbres.
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La mort d'Agathe
 
XXXX. Jean I the Greek
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Cela faisait plusieurs années que la grande salle du palais impérial n’avait pas accueilli un grand événement et les serviteurs avaient fait leur possible pour lui redonner son prestige d'antan. Une tâche difficile en temps de guerre, alors que l’approvisionnement était perturbé par les combats et que la capitale manquait de tout. La salle paraissait désespérément vide, la plupart des courtisans avaient fui ou soutenaient Onfroy.
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Le prince Henri de Bissy, le duc Jean de Shammar, l'empereur Jean I le Grec, la princesse Isabelle de Montoire et le patriarche Gilbert

Assis sur son trône, Jean soupira : “Ces falbalas étaient-ils bien nécessaires ?

-En quelque sorte, répondit Jean de Shammar. Vos sujets grecs sont sensibles au décorum.

-Une perte de temps et d’argent”, grommela le prince Henri de Bissy. Jean avait toujours été surpris par la ressemblance physique entre son oncle et son défunt père. La ressemblance s’arrêtait là néanmoins. Contrairement à l’Héritier, le prince Henri n’était pas un meneur mais un soldat, un éternel bras droit pour son frère Hugues le Sombre puis pour son neveu Hugues le Blanc. “Nous devrions être avec Orson pour préparer les troupes pour la future campagne.

-Mon frère est un rabat-joie, ne l’écoutez pas neveu, dit Isabelle de Montoire”. La tante de l’empereur était rayonnante depuis qu’il avait levé son exil. Jean avait besoin de présenter l’image d’une famille unie. Une farce, puisque tous les enfants du deuxième mariage du Glorieux avaient pris fait et cause pour Onfroy. “Nous avons besoin de leurs troupes.

-Quelles troupes ? répliqua Henri. Quelques centaines d’hommes tout au plus et aucun grand seigneur. Tu as surtout besoin de ton bâtard.

-Messire ! protesta le patriarche Gilbert. Ce n’est pas une façon de parler à une dame, et encore moins à sa soeur.” Le jeune patriarche semblait apprécié Isabelle, au point d’avoir pris sa fille, sœur Béatrice d’Eu, à son service.

“Assez ! gronda Jean. Arrêtez ces chamailleries. Il n’est de toute façon plus temps de tergiverser, ils vont bientôt arriver.”

Il n’eut pas à attendre bien longtemps. Les trompettes sonnèrent et les lourdes portes de la salle s’ouvrirent. Le cortège s’avança, encadré par deux colonnes de gardes varègues portant les insignes romains et le chrisme.

Au premier rang marchaient les Montoires : Catherine de Bartanay escortée depuis Jaffa par son fils le roi Hugues III le Blanc ; puis Marthe, la tante de Jean, et son mari Adrien Ouranos ; enfin Hugues le Malné, le bâtard d’Isabelle, qui avait revêtu les habits de l’Ordre de Saint Etienne.
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Hugues le Malné, le roi Hugues III le Blanc de Mésopotamie, la reine-mère Catherine de Bartanay, la princesse Marthe de Montoire et Adrien Ouranos

Derrière les membres de la famille impériale marchaient quelques seigneurs grecs mais aucun despote. Ils entouraient l’empereur Philippe de Péra. Le veuf prenait manifestement soin de lui, sa barbe était finement taillée, ses vêtements étaient tissés à partir des plus belles soieries et sa couronne était incrustée de magnifiques joyaux.
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L'empereur Philippe

“Nous espérons que vous avez fait bon voyage, dit Jean alors que le cortège s’était arrêté devant le trône. Nous savons que le chemin jusqu’à la Ville Sainte est périlleux en ces temps troublés. Notre coeur se réjouit donc de vous voir sain et sauf devant nous.

-Un tel honneur mérite bien de braver mille dangers, Votre Majesté, répondit Catherine de Bartanay en s’inclinant.

-Je ne sais comment exprimer ma gratitude envers vous, lui répondit Jean. Vous m’avez loyalement servi. Même après la disparition de ma bien-aîmée tante et impératrice, vous avez agi avec sang-froid et discernement dans les intérêts de Jérusalem.”

Catherine de Bartanay ne cachait pas son plaisir et sa fierté. Jean se tourna vers la princesse Marthe.

“Chère tante, Jérusalem se réjouit de voir le retour d’une de ses filles.

-Cela fait une éternité que je n’ai pas vu la ville, toujours aussi bruyante et puante. Jean sourit, Marthe était connue pour son franc parler. Il avait toujours apprécié sa tante. Une grande gueule qui débordait de confiance. Lorsqu’elle lui rendait visite au palais du Ta Konsta, elle n’hésitait pas à critiquer mère, à secouer père et ne perdait jamais une occasion de se plaindre de l’Anatolie. “Je ne peux en dire autant de toi, neveu. Qu’est-il arrivé au petit enfant craintif de Constantinople ? Il a été remplacé par un grand empereur plein de confiance.”

-Frère Hugues, dit l’empereur en se tournant vers le Malné. Je suis heureux de voir que le Grand Maître Uthred a accepté de vous intégrer dans l’Ordre de Saint-Etienne.

-Ou… oui, bredouilla le bâtard, les yeux fixés sur ses pieds. A Jaffa… il m’a… enfin… adoubé.

-Et vous l’avez bien mérité. Vous avez rendu un grand service à l’empire.” Étrangement, le malaise de Hugues redoubla. “Sur demande de votre mère et de votre soeur, j’ai demandé au Grand Maître de vous nommer à Jérusalem auprès du patriarche.” La nouvelle sembla apaiser le chevalier de Saint-Etienne qui se confondit en remerciements.

Jean ressenti un malaise au sein de la délégation grecque. Il s’était exprimé en franc que ne maîtrisait pas la plupart d’entre eux. Pire, il avait délibérément ignoré le protocole en ne s’adressant pas d’abord à l’empereur Philippe. Ce n’était pas un oubli, Jean voulait faire passer un message : les Montoires avaient la primauté.

Il finit néanmoins par se tourner vers les Grecs, mais en français, laissant le soin aux drogmans de traduire : “Messeigneurs, je suis heureux de vous voir dans la Ville.” Le mot était normalement utilisé pour désigner Constantinople, mais seul Jérusalem méritait une telle appellation. “Particulièrement vous, mon oncle.

-Un plaisir partagé, répondit Philippe dans un Français parfait en s’avançant jusqu’aux marches du trône.

-Avons-nous des nouvelles de l’impératrice ?

-Malheureusement non, répondit Philippe d’un ton plein de tristesse. J’ai envoyé des émissaires aux quatre coins du monde connu, en vain. Elle n’a pas été revue depuis qu’elle a embarqué sur cette satanée gallée génoise.

-Je partage votre peine, dit Jean. La disparition de ma tante est une blessure qui ne saurait si facilement cicatrisée.”

Un silence tomba sur la salle. Francs comme Grecs avaient les yeux fixés sur Philippe qui semblait hésiter.

“Il ne fait plus aucun doute dans mon coeur, que ma tendre et chère épouse n’est plus.” Sa voix était comme étranglée, et Jean se demanda s’il pleurait sa femme ou la décision qu’il était sur le point de prendre. Philippe enleva sa couronne et tomba à genoux. “Je suis venu par-delà les mers pour mettre entre vos mains le destin de l’Empire des Romains.”

Jean était comme figé sur son trône. Bien sûr, il s’y attendait. Depuis la disparition d’Agathe, Philippe se terrait dans son palais, contesté par toute l’aristocratie grecque. Il n’avait pas le choix, et Catherine n’avait pas ménagé ses efforts pour le lui faire comprendre. Mais le voir abdiquer et lui remettre Constantinople…
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“La couronne du Grand a disparu avec ma femme, dit Philippe en tendant sa propre coiffe. Aussi ne puis-je vous remettre que la mienne.

-Je l’accepte, proclama Jean. Je ne le coifferai néanmoins pas, j’ai déjà une couronne.”

Comme prévu, c’est le patriarche qui vint prendre la couronne des mains de Philippe.

“Au nom de tous les Romains, dit Philippe, je viens vous implorer de venir à Constantinople pour être couronné par les deux patriarches. Vos sujets ont besoin de vous, et de votre protection contre leurs ennemis.

-J’ai déjà des ennemis, rétorqua l’empereur. Plus importants, plus dangereux, et je me dois tout entier à l’Empire de Dieu. J’envisage de faire la paix avec l’empereur de Carpathie et le duc de Bénévent.
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Peace with the duke of Benevent and the Emperor of Carpathie

-Mais… ils prendront…

-Deux villes, coupa Jean. Qui ne méritent pas que je sacrifie pour elle la Terre Sainte.

-Les Grecs n’accepteront pas.

-Ils obéiront, la réplique ne souffrait pas de contradictions. Que mes sujets grecs ne s’inquiètent pas. J’ai beaucoup réfléchi et je pense avoir trouvé une solution qui les contentera.” Il se leva. “Mais nous en parlerons une fois la guerre terminée. Car maintenant que vous êtes là, il est temps de partir à l’Est, vers Maab où se terrent l’Usurpateur et ses partisans. Il est temps de mettre fin à cette guerre !”​
 
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XXXXI. Etienne
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Etienne fut réveillé par des bruits de pas en provenance du couloir. Il se redressa puis décocha un coup de pied à un rat qui tentait de lui grignoter les orteilles. Ses poignets et ses bras, accrochés au plafond par une lourde chaîne, le faisaient souffrir. Il se jugeait néanmoins chanceux. Tu as survécu indemne à l’une des plus grandes boucheries de l’histoire, se dit-il en repensant à la bataille de Maab.
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La bataille de Maab

L’offensive impériale avait été foudroyante. Les partisans d’Onfroy avaient bien essayé de résister mais la bataille avait rapidement tourné au massacre. Par un quelconque miracle, Etienne avait survécu sans une égratignure, une chance que n’avait pas eu André d’Outre-Jourdain qui partageait sa geôle. Depuis leur capture, le Géant n’avait cessé de gémir.

Les pas se rapprochèrent. Il s’arrêtèrent bientôt devant la porte du cachot d’Etienne. La clé tourna dans la serrure et la porte s’ouvrit. Plusieurs hommes pénétrèrent dans la pièce, ils portaient des torches qui aveuglaient Etienne.
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Le duc André d'Outre-Jourdain et le prince Henri de Bissy

"Enlevez-leur leurs chaînes” ordonna une voix familière. Deux soldats s’approchèrent d’Etienne et le débarrassèrent de ses entraves.

“Cui-là est mort, m’ssire” dit un garde en désignant André le Géant dont l’imposante carcasse se balançait piteusement au bout de ses chaînes.

“Cela explique pourquoi j’ai pu m’endormir”, blagua Etienne en se frottant les poignets. Il était tellement faible que sa voix n’était qu’un murmure.

“Garde ta salive pour ton audience, traître, dit Henri.

-Toujours chaleureux à ce que je vois, frère.

-Demi-frère, corrigea Henri. Et encore.”

Le prince donna des ordres et les gardes poussèrent Etienne en dehors du cachot. Ils le menèrent à travers les couloirs sombres et humides puis empruntèrent les escaliers. Ils débouchèrent bientôt dans la basse-cour du château de Maab. Francs, Arabes, roturiers ou nobles, ils étaient venus par centaine pour assister au Jugement de Maab.

Je vois qu’ils ont déjà eu le droit à un peu de spectacle, se dit Etienne en voyant l'échafaud où se balançaient plusieurs pendus. Cela ne les empêchera pas d’en demander davantage. Les gardes eurent le plus grand mal à lui faire traverser la foule qui désirait le mettre en pièce.

Hypocrites, se dit Etienne tout en recevant une pierre sur la tête. Il y a seulement quelques jours, les habitants de Maab nous accueillaient en héros.

Ils arrivèrent bientôt devant l’estrade où siégeait l’empereur Jean. Protégé de la chaleur par une magnifique tenture, revêtu de tous les symboles du pouvoir, il ressemblait à un roi biblique rendant la justice. Rien à voir avec Onfroy qui était agenouillé devant lui. Revêtu de haillons, enchaîné, le visage tuméfié, le roi déchu faisait peine à voir. Comme les puissants sont tombés… se dit Etienne.
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Onfroy face à l'empereur Jean

“Et mon cousin André ? demanda l’empereur.

-Il a succombé à ses blessures”, répondit Henri. Eve, la soeur d’Etienne, défaillit en apprenant la mort de son fils.

“Ramenez-la dans ses appartements, ordonna Jean, et faîtes parvenir un message à sa fille Adélaïde. La voilà dame d’Outre-Jourdain.”
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La duchesse Adélaïde d'Outre-Jourdain

Son attention se tourna vers Onfroy.

“Il est enfin temps pour vous de répondre de vos crimes, Usurpateur.

-Quelle comédie ! cracha Onfroy. Nous savons tous deux que vous me réservez le même sort qu’à Evrard”. Ce n’est qu’à ce moment qu’Etienne vit la tête du duc de Yamama plantée sur une pique. Son corps était quant à lui pendu par les pieds sur l'échafaud.
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L'exécution du duc Evrard II de Yamama

“Evrard était un meurtrier doublé d’un régicide. Il ne méritait que la mort. Vous avez encore une chance.

-Auriez-vous peur du parricide ?

-Pourquoi donc ? Vous l’êtes aussi. Car qu’est-ce qu’une révolte contre son cousin et son empereur, sinon un parricide doublé d’un régicide ?”

Onfroy ne répondit rien, ses yeux étaient fixés sur la hache du bourreau. C’est à ce moment que l’évidence s’imposa à Etienne. Pour la première fois, ce roi si nonchalant avait peur. Étrangement, ce n’était pas son cas. Il acceptait son destin comme tout bon Montoire.

“Renoncez une bonne fois pour toute à vos folles prétentions sur la couronne de Jérusalem, remettez-moi le duché du Liban et redonnez ses terres à Jean de Shammar, et je vous laisserai peut-être la vie sauve. Voire même le titre de duc du Désert, même si c’est votre fils Baudoin qui gouvernera vos terres tant que vous serez en prison.”
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Onfroy se voit retirer tous ses titres. Son fils Baudoin le Nain, devient le nouveau du duc Désert

Rusé, se dit Etienne. En faisant renoncer Onfroy à ses prétentions, Jean mettait fin à toutes revendications des rebelles. En lui laissant son titre de duc, il affaiblissait la légitimité de son successeur.

Un homme avec plus d’honneur et de fierté aurait bien sûr refusé. Onfroy était néanmoins effrayé et, après une courte hésitation, il renonça officiellement à ses droits sur la couronne de Jérusalem. Lorsque ce fut fait, deux gardes vinrent le chercher pour le ramener dans les cachots.
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Victoire

Ce fut au tour d’Etienne. Un garde le poussa devant l’empereur et le força à s’agenouiller.

“Je vois qu’on a gardé le meilleur pour la fin” dit-il un sourire aux lèvres.

Jean ignora sa remarque.

“Etienne Mellent de la Maison Montoire, reconnais-tu tes crimes ? Reconnais-tu ta trahison envers Jérusalem ?”

Etienne fut pris d’un fou rire. “Quelle trahison ? Je n’ai fait que mon devoir envers Jérusalem. J’ai protégé la Terre Sainte de l’influence grecque. Mon seul crime est d’avoir échoué. Aujourd’hui un Grec règne à Jérusalem, et la Ville Sainte ne sera bientôt plus qu’une province gouvernée depuis Constantinople.

-Non, rétorqua Jean. Je suis empereur de Jérusalem, et les Grecs qui ploieront le genou devant moi seront vassaux de Terre Sainte. Les autres vivront dans un empire souverain, dirigé par mon fils.”

Son fils Jean la Brute s’avança. Il était revêtu de la pourpre et coiffé d’une couronne grecque.
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Le prince héritier Jean et la division de l'Empire

“Jean III le Bon”, se moqua Etienne qui connaissait le caractère du prince héritier. Ce dernier s’empourpra.

“Père ! Je veux sa tête !” s’écria le jeune homme, mais l’empereur l’ignora.

“Reconnais-tu tes crimes ? répéta-t-il.

-Oui, dit simplement Etienne. Je reconnais mon crime. Celui d’être né dans cette famille maudite. D’être le fils du plus grand souverain de l’histoire, mais également du pire père qu’il n'y eut jamais. Je suis ambitieux ? Implacable ? Sans coeur ? A qui le dois-je sinon à cet homme qui a fait trembler la terre mais brisé sa famille ? J’ai détesté mes demi-frères et mes demi-soeurs, mais qui en est la cause, sinon le Glorieux ? N’est-ce pas sa faute si deux de ses fils ont sacrifié leur vie pour son ambition ? N’est-ce pas lui qui a chargé ma demi-sœur d’un tel fardeau qu’elle a déserté son trône et le monde ? Qui a cultivé notre haine les uns des autres sinon lui ? Mets-moi à mort, neveu. Deviens Caïn. Tu ne feras que perpétuer notre tradition familiale.”

La cour était désormais plongée dans le silence le plus complet. Résigné, Etienne regardait Jean droit dans les yeux. Celui-ci soutint son regard en silence.

“Tu as raison, oncle. Notre maison est maudite. Elle est destinée à s’entredéchirer. Je pense néanmoins que le cycle peut être brisé. Je n’aurais pas le sang d’un Montoire sur les mains. Je ne te donnerai pas raison en dérogeant à la clémence franque. J’épargnerai ta vie.”

Etienne lu la surprise sur les visages des courtisans. D’autres affichaient clairement leur déception.

“Mais ne te méprends pas. Ce n’est pas un présent que je te fais. Tu souhaitais t’élèver dans le monde ? Eh bien, tu ne seras plus rien. Par la présente, je te retire tous tes titres et fiefs. Je te dénie le droit de te faire appeler prince du sang. Tu seras condamné à vivre le restant de tes jours en simple roturier dans mes cachots. Tu goûteras à la solitude, à l’isolement et aux regrets, et un jour, tu en viendras à regretter de ne pas avoir été mis à mort.

-Et que feras-tu de mes terres ?

-Par respect pour nos liens familiaux, je les donnerai à ton fils aîné.

-Arnoul n’a que huit ans.

-Et c’est pourquoi il ne deviendra duc de plein droit qu’à sa majorité. Entretemps, il vivra auprès de moi à Jérusalem, où je veillerai à son éducation.
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Etienne perd ses titres qui sont donnés à son fils Arnoul qui est éduqué par l'empereur Jean

-Jamais je ne permettrais à un Grec…

-Tu n’es pas en position de permettre quoique ce soit, Mellent ! Je l’éduquerai ! Et sache bien que je veillerai personnellement à ce qu’il apprenne ses lettres grecques !”

L’empereur claqua des doigts et deux gardes agrippèrent Etienne. Il tenta de se débattre mais ils le trainèrent de force à travers la foule haineuse.

“Maudits ! cria Etienne si fort que même les courtisans ne pouvaient l’ignorer. Soyez maudits, toi et les descendants ! Puissiez-vous vous entredéchirer !”

Les gardes le poussèrent dans la tour puis le menèrent jusqu’à sa cellule. Il l’y enfermèrent à double tour, le plongeant dans le noir.

A tout jamais.​
 
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Epilogue. Jean I l'Outremer
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L’empereur Jean se resservit un verre de vin de Thrace, puis vint s’asseoir sur sa chayère installée un peu en retrait de la pièce. La nuit était déjà tombée et ses appartements étaient seulement éclairés par le feu de la cheminée. Devant l’âtre, on avait installé un pupitre où le patriarche venait de déposer un grand ouvrage.
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Le patriarche Gilbert, le prince héritier Jean, le prince Henri, Matthieu et Roubaud d'Eu

“Qu’est-ce que c’est ?” balbutia le jeune prince Henri. Le plus jeune petit-fils de l’empereur n’avait que trois ans, mais il était déjà capable de parler. Le manuscrit semblait l’intriguer, au point de délaisser Roubaud d’Eu, son compagnon de jeu.

“C’est l’Histoire du Royaume de Jérusalem”, répondit le frère de Roubaud, Matthieu d’Eu. Âgé de neuf ans, le bâtard prenait un certain plaisir à étaler son savoir. “Il a été écrit par Sa Sainteté Gilbert.”
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La commande de l'épopée familiale

Le patriarche sourit au jeune homme. Jean perçut une pointe de fierté dans ses yeux. Ho, il était très fier de son ouvrage, et c’était peut-être même la raison pour laquelle il avait tant insisté pour faire la leçon aux petits princes. Mais l’empereur soupçonnait qu’il que sa fierté n’était pas étrangère au jeune homme lui-même.

La naissance de Matthieu et de Roubaud et de leurs sœurs avait provoqué un véritable scandale. Sa mère, Béatrice d’Eu, était une religieuse et la fille de la princesse Isabelle, déjà connue pour son infidélité. Heureusement, personne n’avait jamais appris l’identité du père, même s’il suffisait de regarder les deux garçons pour s’apercevoir qu’ils ressemblaient forts au patriarche. Jean avait tout fait pour étouffer l’affaire et, par amitié envers Gilbert, avait pris en charge l’éducation des deux petits bâtards.
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Les bâtards de Béatrice d'Eu

“Est-ce l’histoire de mes ancêtres ?” Jean Porphyrogénète n’avait que 5 ans, mais il avait déjà le regard vif et les manières d’un prince du Sang. L’empereur était fier de ce jeune garçon qui était destiné à lui succéder un jour.

“Oui, Votre Altesse, répondit le patriarche. Cet ouvrage retrace l’histoire des Montoires depuis la Première Croisade. Il m’a demandé un travail colossal.” Et m’a coûté une somme toute aussi colossale, pensa Jean en se resservant un verre.

“Voulez-vous bien venir lire ce passage que je viens juste d’achever ?”

Le prince Jean hocha la tête puis passa derrière le pupitre. Il lui fallut monter sur un petit marchepied pour être à la hauteur du livre. Il se pencha dessus et commença à lire à voix haute.
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L’empereur ressentit une certaine fierté. La voix du prince Jean était parfois hésitante et il lui arrivait de buter sur un mot, mais il avait manifestement bénéficié d’une excellente éducation à la cour de son père.
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“Nous sommes justement le jour de la Saint Aymard ! s’écria le jeune homme.

-Oui, répondit le patriarche. La bataille de Constantinople a eu lieu il y a exactement 28 années jour pour jour.”

Le prince Jean reprit sa lecture.
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Le prince Henri applaudit. Son frère Jean se tourna vers l’empereur, des lumières plein les yeux.

“Avez-vous participé à cette grande bataille, Grand-Père ?

-Oui, répondit Jean en reprenant un verre. Mais continuez votre lecture.” Il n’était peut-être pas utile de dire à ses petit-fils qu’il avait combattu du côté des “schismatiques”.
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“Patera ! cria le jeune Henri.
-Qu'est-il donc arrivé à l'Usurpateur ? demanda le prince Jean.

-Je sais ! Je sais !” Matthieu d’Eu levait la main, prêt à répondre. Gilbert fit signe au petit bâtard de répondre et ce dernier s'exécuta : "Lors du Jugement de Maab, il fut condamné à finir sa vie dans les cachots de Sa Majesté. Il est mort l’année de ma naissance.

-Et qui est son héritier ? interrogea le patriarche.

-Son fils Baudoin le Nain, répondit du tac au tac le jeune Jean. Duc du Désert.

-Du Désert et d’Outre-Jourdain”, précisa Matthieu.

Impressionnant, se dit Jean en buvant une longue gorgée. Baudoin le Nain n’avait en effet pas hésité à renverser sa cousine Adélaïde pour s’emparer de son duché.
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Baudoin le Nain, duc du Désert et d'Outre-Jourdain

“Et Etienne ? demanda le prince Jean.

-Ce traître croupit toujours dans mes geôles”, intervint l’empereur. Il avait horriblement chaud, il lui faudrait demander à ses serviteurs d’éteindre la cheminée.

“Le libérerez-vous un jour ?

-Non, Jean, répondit l’empereur tout en se massant les tempes. Etienne est dangereux, et son fils Arnoul fait un excellent duc de Dyiar Rabia.”

Le patriarche sembla remarquer la fatigue de Jean. “Il est temps pour vous de laisser sa Majesté et de regagner vos appartements” dit-il en frappant dans ses mains pour appeler les nourrices.

Roubaud et Henri se rebellèrent, mais leurs aînés obéirent. Avant de partir, Jean mena son petit frère devant l’empereur pour le saluer. “Bonne nuit, Grand-Père” dit le prince en s’inclinant respectueusement.

“Bonne nuit, princes” répondit Jean.

Lorsqu’ils furent sortis, l’empereur ne put s’empêcher de soupirer : “Je dois avouer un certain soulagement.

-Le prince Jean ? demanda le patriarche.

-Oui, connaissant son père, je m'attendais à découvrir une petite brute sauvage.

-Vous êtes bien dur avec votre fils…

-Arrêtez Gilbert. Nous sommes amis, et vous savez que vous pouvez vous exprimer librement. Mon fils est un monstre et un incapable.

-Il s’assagira.

-A 28 ans ? J’en doute. L’empereur essuya son front moite. Jean II le Tyran ! Voilà comment les Grecs le surnomment. Lorsque les seigneurs l’ont dépossédé de sa couronne la première fois et ont fait appel à moi, j’ai fait le chemin jusqu’à Constantinople pour le restaurer. Ces exactions n’ont néanmoins pas cessé, et la dernière révolte a porté Hélène Ire au pouvoir ! Grâce à mon fils, les Montoires ont perdu Constantinople !
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La Basillissa Hélène I Comnène

-Vous auriez dû intervenir, il a été gravement blessé.

-Est-ce ma faute s’il a été défiguré ? Il n’a qu’à assumer les conséquences de ses actes. Au moins son visage est-il désormais le reflet de son âme. Qu’il se contente du despotat de Bulgarie.

-Il ne le pourra pas.

-Oh, je sais qu’il est ambitieux. Je ne suis pas idiot, je sais pourquoi il m’a envoyé mes petit-fils. Mais il me faudra plus que les princes et une caisse de vin thrace pour que je déclenche une guerre contre l’impératrice. Mes troupes sont déjà assez occupées avec la croisade.
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La croisade pour la Mésopotamie

-D’après le Grand-Maître Hugues, votre cousin Hugues le Blanc a bien progressé et serait sur le point de se faire reconnaître comme seul maître de la Mésopotamie.

-Que n’est-il mon héritier, soupira Jean. Mais je dois convaincre le pape Lucius II de lui refuser un tel honneur. Il peut avoir ces terres, mais je refuse qu’il prenne son indépendance.”

Les maux de tête redoublèrent et Jean se frotta les tempes.

“Vous allez bien Votre Majesté ?

-Oui… oui. J’ai dû boire trop de vin. Vous pouvez disposer, Gilbert, nous nous reverrons demain au conseil.

-Comme vous le souhaitez, Sire”. Le patriarche s’inclina et sortit.

Jean se retrouva seul. Son mal de crâne ne faisait qu’empirer et il resta assis sans bouger, à regarder les flammes danser dans la cheminée. Elles bougeaient de plus en plus vite, volant, sautant, tourbillonnant au point de lui donner la nausée. Il voulut se lever, mais son corps ne bougea pas. Il se mit à paniquer, son corps ne répondait plus.

Et c’est à ce moment qu’il le vit. Là, debout derrière le pupitre à regarder l’ouvrage de Gilbert. Son grand-père Hugues le Glorieux.
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Hugues III le Glorieux

“Une histoire passionnante, dit-il.

-Qu’est-ce que cela veut dire ? parvint à articuler Jean dont le visage pouvait pourtant à peine bouger.

-Que tu es sur le point de quitter ce monde.”

La voix était calme et irréelle. La respiration de Jean s'accéléra.

“Foutaise, je suis en pleine forme, je suis…

-Paralysé, termina Hugues.

-Qu’est-ce que cette diablerie ?”

Pour toute réponse, le Glorieux désigna la main droite de Jean. Ce dernier fit un effort surhumain et bougea la tête, découvrant la coupe vide.

“Le vin de Thrace, soupira-t-il. Mon propre fils. Quel magnifique empereur il sera.
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Le complot du prince Jean pour assassiner son père

-Le pire, sourit Hugues. Mais si cela peut te rassurer, son règne sera court et malheureux. Pas même digne d’un chapitre de cet ouvrage.
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-Tout de même… La malédiction d’Etienne a donc porté ses fruits. Nous sommes condamnés à nous entredéchirer.

-Je ne suis pas sûr que mon fils soit responsable de cette malédiction, sourit Hugues. Elle le précède largement et lui survivra. Tes deux petit-fils seront bien placés pour le savoir.

-Que veux-tu dire ?

-Il viendra un jour où Jean le Porphyrogénète montera sur le trône sous le nom Jean III. Jean le Borgne sera-t-til surnommé après avoir perdu son oeil contre l’empereur Valère III, le petit-fils d’Hélène. Après la conquête de Constantinople, il l’offrira à son meilleur ami, son frère Henri. Vingt années les éloigneront peu à peu l’un de l’autre. L’amour se muera en méfiance et la méfiance en haine. Ils en viendront à s’affronter lors de la Guerre des Deux Frères. A la Seconde Bataille de Jérusalem, l’empereur Henri trouvera la mort face aux armées de son frères. Son fils Jacques abdiquera et Jean associera à jamais les Couronnes de Jérusalem et de Constantinople, troquant la vie de son frère pour une Union.
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Les deux empereurs frères et la Seconde bataille de Constantinople lors de laquelle périt Henri

-L’Union des deux Couronnes Montoires.

-Deux des trois Couronnes Montoires.

-Que veux-tu dire ?

-Avec ta mort, rien n’empêchera mon petit-fils Hugues III de se proclamer indépendant de Jérusalem. Sa lignée, les Huguesides, règneront jusqu’à la mort de la reine Tiburge. Le trône passera ensuite aux Montoire-Tathlith. La reine Isabelle sera à son tour assassinée par son mari et cousin, passant la couronne aux Bissy, les descendants de mon troisième fils Henri.
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Le royaume de Mésopotamie

-Ainsi les rameaux auront dépassé le tronc. Mon héritage n’est rien.

-Oh si ! Pourquoi crois-tu que nos successeurs seront nommés en ton honneur ? Jean IV le Gros qui apportera la paix et la prospérité, Jean V le Fort qui sera aussi petit que son règne, Jean VI le Boiteux qui épousera la reine Amélie de Mésopotamie permettant à son fils Jean VII d’unifier les terres Montoires.”
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Les paupières de Jean étaient de plus en plus lourdes.

“Mais tu restes le grand empereur, murmura-t-il en fermant les yeux.

-Peut-être. Mais tu auras aussi le droit au respect. Respect au grand souverain franc que tu as été.”

La respiration de Jean ralentit peu à peu.

“Merci…

-Va en paix, répondit le Glorieux. Empereur du Levant.”
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