Chapteur faille'voeu : la douleur ça fait mal
La grosse Lulu, hilare, regardait remonter de la rivière son cher général tout dégoulinant. Elle darda sa langue de vipère qui vient de trouver une belle couvée d’œufs frais et persifla :
- Vous vous baignez beaucoup aujourd’hui…
Lord Klou se planta en face d’elle tout sourire. Un beau sourire de mangouste devant son crotale préféré. Il tendit lentement son index et le passa délicatement sur le cou de la mère maquerelle, d’une oreille à l’autre. Puis lui prit le menton et releva son visage soudainement très blanc, une rareté remarquable dans le cas de Lulu, pour planter son regard dans le sien. La grande expérience de Lulu lui permit de voir dans ce regard des tas de choses plus contondantes et acérées les unes que les autres. Et dont la cible n’était autre qu’elle-même. Et pas à des endroits où elle avait l’habitude d’en recevoir. Elle pensa subrepticement à s’évanouir mais l’endroit du réveil n’était pas garanti. La voix du général exprimait une sorte de… joie. Elle avait déjà entendu ce ton la dernière fois que son contrôleur des impôts l’avait redressée. En moins dangereux.
- Sais-tu ce que j’apprécie chez les femmes comme toi, Lulu ?
- … Non… non, je ne … ne sais pas… pas… Monseigneur...
- Deux qualités : la mémoire courte et la capacité de se taire quand il le faut.
- …
- Je vois qu’on se comprend.
Il la fit pivoter doucement. Lulu retint son souffle en tremblant lorsqu’elle lui tourna le dos. Voila sa belle carrière était finie en même temps que sa vie. Mais qu’est-ce qui lui avait pris de jouer un tour pareil à un mec comme lui ? Pourquoi tous ces trucs idiots que l’on fait paraissent de si bonnes idées sur le coup ? Et autres réflexions philosophiques du même acabit comme : Merde, merde et merde… Et puis la main familière lui claqua le baigneur exactement comme d’habitude et elle entendit ses pas s’éloigner. C’est pas vrai. Il ne m’a pas tuée ! Son esprit pratique de femme d’affaires repris le dessus immédiatement et elle courut acheter un ticket de loterie.
Herbert attendait sagement assis dans la tente de commandement. Lord Klou remarqua que lui aussi avait mis un coussin sur son tabouret et fronça un sourcil. Saloperie de boisson. Il s’assit en face du jeune éphèbe mais à distance respectable. En fait la distance exacte pour tirer son épée. Herbert semblait relativement à l’aise. Il prit l’initiative de rompre le silence :
- Il faut que l’on en parle, messire.
- …
- Ce n’est pas bon de tout garder pour soi, vous savez ? Après on a des aigreurs à l’estomac et le teint tout barbouillé.
- …
- Je vous jure que ça vous ferait du bien. Surtout si c’est la première fois pour vous…
- Herbert, espèce d’andouille multicolore, ça fait vingt ans que je suis dans l’armée !
Le jeune homme sembla un peu déçu. Mais encore plus surpris par ce qui s’ensuivit :
- Tu vois mon cher Herb’ on aurait pu vivre une belle histoire tous les deux…
- Vraiment ? répondit-il plein d’espoir.
- Non.
- Pffff… je vois que vous avez retrouvé toute votre tête.
- Exact. A la guerre comme à la guerre MAIS : quand on va se coucher avec une donzelle c’est pour se taper une donzelle, pas un damoiseau.
- Ecoutez je suis désolé mais ces filles m’ont à moitié violé hier et… bien… je voulais un peu vous rendre la monnaie de votre pièce, quoi…
- Donc il ne nous reste que deux solutions. La première c’est qu’on va oublier tout ça et que je vais t’envoyer faire un petit tour ailleurs. Loin.
- Encore porter des messages ? Franchement ça ne me tente pas. C’est quoi la deuxième ?
- Je te tue. Ici. Maintenant.
Colère du Klou
- Quoi ? Vous pourriez faire ça après… Herbert regarda plus attentivement la main posée sur la garde de l’épée et remonta jusqu’au regard glacial qui le fixait. Il pensa qu’un petit voyage lui ferait le plus grand bien. Après tout il paraît que c’est très formateur pour la jeunesse ça permet, par exemple, euh… de la garder en vie. Il se reprit :
- Où dois-je partir ?
- En Espagne. Cela te sera très profitable : je te trouve bien pâle. Tu vas porter ce message au général Zalder y Zalder. Mon homologue pour toutes les forces Ibères : Espagne, Aragon, Portugal et Navarre.
- Bon. Je vais me préparer pour…
- Tu es prêt.
Herbert se releva d’un bond. Ce n’était pas le moment de tenter le diable. Surtout quand le diable en question lui faisait face et estimait que la solution la plus simple à la plupart des problèmes était un bon coup d’épée.
- Euh, oui… oui. Alors… j’y vais quoi. Au revoir, messire.
- C’est ça.
Départ d’Herbert
Herbert se sentait légèrement mal à l’aise. Certes il était tranquillement allongé sur le dos par terre, pas très confortablement mais rien de grave. Bon le fait d’être attaché par les quatre membres n’était pas non plus une nouveauté : il avait souvent joué à ça à la cour d’Henry qui en raffolait. Etre couvert de miel et bien il l’avait également pratiqué. Zaza était particulièrement gourmand et inventif. Quand aux chatouillis qu’il ressentait un peu partout, ma foi c’était plutôt agréable. Mais le tout associé…
- Vous êtes réveillé, senhor Herbert ? Lui demanda poliment le visage orné d’une fine moustache du Grand d’Espagne qui se penchait sur lui.
- Ah, c’est vous général Zalder ? Je suis un peu surpris je vous l’avoue : je ne me souvenais pas que nous avions… sympathisé au point de jouer à ce genre de petit jeu. Lui dit-il en appuyant les mots « petit jeu » par un clin d’œil éloquent. A ces mots le visage de l’espagnol se contracta brutalement.
- Putana d’Ingles ! Madre de dios ! C’est donc vrai tout ce qu’on raconte sur votre cour d’efféminés. Vous me dégoûtez !
- Alors qu’est-ce que je fais là au juste ?
- Vous sentez toutes ces petites chatouilles ?
- Ma foi oui. C’est fort agréable d’ailleurs, je vous en remercie.
- De rien, je vous assure. Ce sont des petites fourmis rouges africaines qui se délectent en ce moment du miel dont on vous a recouvert.
- Hum… c’est vraiment délicieux comme sensation. Je ne savais pas qu’on trouvait des plaisirs aussi raffinés à la cour d’Espagne, sans vouloir être impoli.
- Ma ce n’est pas un plaisir, maldito ! C’est une torture ! Quand les fourmis auront fini le miel elles vont commencer à vous dévorer vivant.
Le visage d’Herbert se décomposa. Enfin pour autant qu’on pouvait en juger sous la couche de miel. Il gémit.
- Mais pourquoi ? Qu’est-ce que je vous ai fait ?
- Vous ne savez pas ? Vraiment ?
- Pffff, c’est le message de Lord Klou, n’est-ce pas ? Il vous a demandé de me faire souffrir pour me punir ! Encore. Aucune imagination ces militaires.
Le général Zalder manifesta une profonde surprise en tortillant nerveusement sa moustache. Sa femme, Congelacion, lui reprochait ce tic qui leur coûtait une véritable fortune annuelle en cire à moustache mais il le faisait depuis ces cinq ans, une pilosité ibère tout à fait normale donc. Et vous savez comme il est difficile de se débarrasser de nos petites manies. Il répondit au pauvre Herbert :
- Votre général ne nous a rien dit à votre sujet. Il est simplement de coutume de punir le messager quand le message est si… provoquant. Rien de personnel.
- Et sans vouloir m’immiscer dans votre diplomatie, il disait quoi ce message ?
- Je cite : « Le Roussillon appartient de droit à la couronne d’Angleterre. Barrez-vous. Signé Lord Klou ».
- Et c’est pour ça que vous me torturez ? Bon sang ça fait cinquante ans que vous vous disputez le Roussillon !
- Non. C’est pour le post-scriptum : « PS : pour ma culture générale pourriez-vous m’expliquez pourquoi vos danseuses de bouchers s’habillent en poissons multicolores avant d’abattre les vaches ? »
Le Duc Von Joukov promenait un regard fasciné sur le spectacle quotidien de la cour anglaise. En l’honneur de son arrivée en tant qu’émissaire extraordinaire de l’Empereur, le jeune roi Richard III avait demandé à Zaza d’organiser une petite fête. Une petite fête toute simple selon Richard. Avec un ballet. Pour symboliser l’alliance austro-anglaise. Von Joukov ne tenait pas trop à en approfondir la symbolique. Bon les danses joyeuses entre jeunes gens vêtus de rouge pour l’Angleterre ou de blanc pour l’Autriche ça passait sans problème. Les chants célébrant l’union de leurs peuples sur fond de marche nuptiale c’était déjà plus douteux. Mais alors la farandole ! On était censé se tenir par la main lors d’une farandole… Cela ne gênait pas Richard qui sautillait joyeusement avec les autres mais le général autrichien avait dû prétexter une vieille blessure de guerre pour éviter d’entrer dans la danse.
Richard III
Comment des chochottes pareilles pouvaient-elles être victorieuses sur tous les fronts d’Europe depuis soixante-dix ans ? Un insoluble mystère pour le duc. Il est vrai qu’Alexandre le Grand lui-même… Il fut interrompu dans ses pensées par l’arrivée d’un héraut d’armes :
- Votre majesté. Le général polonais Frensko Crusaderovitch demande audience.
Le roi s’arrêta bien malgré lui et grommela :
- Ah zut ! C’est toujours quand on s’amuse le plus qu’on est dérangé. Allez les garçons : la fête est finie. On remballe… non Philippe et Manfred, pas ça. Je veux dire : on range tout.
La grande salle fut rangée dans un brouhaha désapprobateur. Enfin le polak fit son entrée. Un colosse blond avec une énorme barbe d’ermite mais en moins bien peignée. Il avança fermement puis se prosterna devant le roi d’Angleterre et le duc autrichien.
- Moi porrrrtez vous salutations grrrrand Rrrroi de Pologne.
- Ah c’est gentil ça. Mais vous pouvez vous relevez, vous savez ? On n’est pas très formaliste sur l’étiquette, ici.
- Moi prrrréfèrrrre rrrrester à genoux devant Maîtrrrres de l’occident. Moi implorrrre Angleterrrrre et Autrrrriche devenirrrr amis de Pologne.
- Ce sera avec grand plaisir. J’adore me faire de nouveaux amis, répondit Richard qui avait un faible pour les grands blonds.
- Le retrait à l’Est de l’Elbe serait une belle preuve d’amitié, renchérit Von Joukov qui avait l’esprit plus pratique.
- Nous prrrrêts à tout pour devenirrrr alliés, larrrrbins, esclaves de Grrrrands Maîtrrrres de l’Occident.
- Ah oui vraiment ? Et on y gagnerait quoi ? demanda Richard avec curiosité.
- Nous fourrrrnirrrr vodka bison, fourrrrrurrrres d’ourrrrs pour hiverrrr, soldats nombrrrreux pour guerrrres glorrrrieuses, jolies jeunes femmes pourrrr plaisirrrr… l’émissaire polonais fit une petite pause, tint compte de son interlocuteur principal et se reprit bien vite : jeunes garrrrçons aussi…
- Mais c’est prodigieusement intéressant tout ça, s’exclama joyeusement Richard dont le regard s’était éclairé à la mention du dernier cadeau. Il fut interrompu par le général Von Joukov :
- Excusez-moi, Sire mais il me semble que Lord Klou refuse toute alliance supplémentaire.
- Mais enfin je suis le roi quand même ! C’est moi qui décide de la politique étrangère et des alliances ! Dit d’un ton boudeur le glorieux monarque d’Angleterre.
- Moi applaudis Grrrrand Lord Klou, mon maîtrrrre spirrrrituel que j'admirrrrre et devant lequel je m'incline humblement, lâcha étourdiment Crusaderovitch avant de se reprendre : mais moi insiste prrrroposition alliance bonne pourrrr nos nations. Beaucoup jeunes garrrrçons vigourrrreux en Pologne.
- Je suis vraiment tenté…
- Vous vous souvenez de ce qu’il a fait quand vous étiez attaqué par l’Europe entière ? Vous tenez vraiment à le contrarier ? Insinua le duc. Moi je ne m’y risquerais pas à moins d’être à cent contre un. Et en attaquant par surprise. Et dans le dos. Et…
- Bon, ça va, ça va, j’ai compris l’idée ! Je crois qu’il faudra vous contenter de notre amitié général Crusadoff… euh Crusovitch… euh, je peux vous appeler Frensko ?
Frensko Crusaderovitch
Rapport de Lord Klou : « Au roi Henry, euh… Edward, euh… Richard… enfin au mec avec la couronne en ce moment. Vous pourriez arrêter de changer cinq minutes ? Qu’est-ce que je voulais dire moi… ah oui : les Français nous ont attaqué comme d’habitude. En supériorité numérique et par surprise, comme d’habitude. On a finalement gagné deux provinces, comme d’habitude : Bourgogne et Auvergne cette fois. Envoyez la thune, comme d’habitude… enfin si vous pouvez envoyez plus ne vous gênez surtout pas, hein ? »
Le garde entra dans le donjon du château de Perpignan. Le général Anglais s’en était emparé et coordonnait la contre-attaque des forces britanniques depuis cette position. Les forces combinées Hispano-Navarraises avaient été détruites en Gascogne. L’armée du Duc D’Albe, enfin sa poignée de survivants, qui avait défait et tué le général Norfolk s’était piteusement enfuie. Les rebelles mettaient la Navarre à feu et à sang. Les Aragonais n’avaient plus d’armée. Il ne restait plus qu’à descendre vers le sud. Et à régler une bonne fois la question du Roussillon.
- Général ?
- On a trouvé un … truc dans les cachots. Il paraît que c’est à vous.
Deux autres gardes entrèrent en portant, les narines froncées, un espèce de machin en haillons, couvert de crasse, hirsute, plein de croûtes sanglantes. Le machin s’écroula en tas.
- Alors comme ça j’aurai un mendiant dans mon entourage ? C’est marrant je croyais pourtant n’être entouré que d’officiers.
Le tas essaya de coasser quelques mots :
- Ce… c’est… me… me… moi… He… Her…
- Tiens ça cause ?
- Herb… Herb…
- Herbert ! T’es encore vivant ?
- Ou… oui… j’ai m… mal.
- Tu m’étonnes ! Ils t’ont pas raté les Espinguins dis donc. Faudra que tu me racontes ça. Bon les gars emmenez mon aide de camp à la grande tente bleue et dites à Lulu d’en refaire un homme. Lord Klou eut une petite hésitation et reprit en souriant :
- Enfin d’en refaire ce qu’il était avant.
Il arriva à se retenir encore quelques secondes, le temps pour les gardes d’emmener le pauvre Herbert. Puis il explosa littéralement de rire, suivit par l’ensemble de ses officiers. Après plusieurs minutes de franche hilarité il essuya ses larmes de joie.
- Bon les gars on va laisser tomber. Je ne peux plus en vouloir aux Ibères après ça. Dites au général Zalder y Zalder que j’accepte sa proposition de paix blanche.
Un grondement approbateur suivit cette déclaration. Lord Klou reprit :
- Cela ne veut pas dire qu’on va rentrer à la maison se la couler douce les gars. Il nous reste des culs de nordistes à botter et la Bretagne à vassaliser. Notre pote l’Empereur à besoin de notre aide. Au boulot
England in 1502